Murmures à l'Ombre [Zenya Zortin]

[i]Du jour au lendemain, sans prévenir, des murmures commencèrent à parvenir à Zenya. Des murmures dédoublés, lointains, tout comme si celui qui les prononçait ne pouvait pas se permettre de les dire plus fort, sous peine que tous les entendent.

Des murmures incompréhensibles, et pourtant à tendre l'oreille, on en perçoit le sens plus qu'on ne le comprend. Le prénom de la jeune femme y est très présent, son diminutif le plus familier même, on y ressent une certaine affection pleine de distance. Le Sans-Visage n'est pas un dieu facile à appréhender, ses buts, ses moyens, restent obscurs, même aux yeux d'Aaron qui est pourtant celui qui le connait le mieux, alors comment Zenya va-t-elle pouvoir comprendre?

Peut-être remarquera-t-elle qu'ils s'intensifient quand elle passe à proximité des portes d'Aubaine. Un petit poucet de chuchotements, qui a semé ses murmures en une piste qu'il faudra bien qu'elle suive. Il ne se lasse jamais, ne s'arrête jamais, si elle attend pour y répondre, ils deviendront plus insistants encore, ils l'empêcheront d'entendre ce qu'il y a autour d'elle, ils s'insinueront dans son sommeil comme dans sa veille.

Le Sans-Visage compte sur elle, il l'a formée, au même titre que tous les autres apprentis, il leur a offert ce qu'il sait, ce qu'il est, aussi pleinement que possible sans pour autant détruire leurs enveloppes mortelles. Il compte sur elle, chuchote, susurre, son prénom, la récompense qui l'attend, sa place si importante aujourd'hui. Il murmure, souffle, son surnom, la folie qui persistera si elle n'accepte pas, la nécessité de son intervention.[/i]

Zenya....Zeze... Zenya... Zeze....Zeze.... j'attends....

[i]Murmures...[/i]

[size=9][list][color:a2a8=red]"Taisez-vous..."[/color][/list][/size]

[i]Oh ça oui, elle aurait tant voulu qu'ils se taisent, qu'Il se taise... Qu'Il la laisse tranquille pour une fois. C'était comme si toutes ses craintes se retrouvaient tout à coup confirmées. Elle savait que ce jour viendrait où elle serait rappelée, et elle avait tout fait pour l'éviter. Mais elle pouvait toujours prendre toutes les précautions, toutes les mesures que bon lui semblerait, plus rien n'y changerait maintenant.

Ça avait commencé si soudainement qu'elle avait beau s'y être préparée, elle en était tout de même déstabilisée. Et si elle avait refusé d'entendre au début, elle avait rapidement du se rendre à l'évidence que le bruit du vent dans les branches n'était plus une excuse suffisante pour ignorer ces murmures. Elle commença alors à essayer de les éviter, et se serait montrée plus méfiante encore que d'ordinaire si seulement c'eut été possible. Aussi, sans doute furent-ils rares parmi son entourage proche, un ou deux Mirelames tout au plus, à se rendre compte du changement dans son comportement.

Elle se tenait aux aguets, se retournant au moindre bruit, que ce fusse ou pas son nom qu'elle entende. Elle était sur ses gardes, et comptait bien se passer de répondre à l'appel. Et elle tint bon, plusieurs jours, malgré l'insistance toujours croissante. Elle-même aurait sûrement pu endurer cela encore longtemps, peu lui importait de les entendre jour et nuit, mais vint le moment où les murmures couvrirent tout, du moindre bruit jusqu'aux conversations. Elle ne pouvait plus continuer ainsi, persister à les ignorer, les risques étaient trop grands. Avec tout ce vacarme dans les oreilles, on aurait pu la surprendre au milieu d'une allée de graviers - si toutefois elle ne redoublait pas d'efforts pour rester vigilante jusque dans ses angles morts.

Il n'y avait plus qu'une seule chose à faire si elle voulait les faire taire... La seule chose qu'elle s'était refusée à faire jusque là. Elle fit rapidement son paquetage, emportant de quoi survivre plusieurs jours dans les Terres Sauvages, et franchit les portes d'Aubaine, suivant les murmures.

Elle répondait enfin à Son appel.[/i]

[i]Les murmures semblaient bondir autour de Zenya, comme autant de petits animaux enchantés par sa décision, ils grimpèrent aux arbres, sautèrent de branches en branches à une rapidité saisissante. Parfois proches, parfois lointains, devant ou derrière, sur le côté, ils la guidaient obscurément. Au-delà de leurs vagabondages, on distinguait une trame, une volonté, une direction.

Le frottement des feuilles, le souffle du vent, les bruissements des animaux dans les fourrés plus épais à mesure qu'elle s'éloignait de la ville servaient de voix à celui qui n'a pas de bouche.
Les chuchotements ne s'assourdissaient que la nuit, pour la laisser dormir et reprendre des forces, ils semblaient éloigner de sa trajectoire les obstacles éventuels, bien décidés à ce qu'elle arrive jusque là où elle était attendue.

Et ce lieu précis n'était qu'une petite clairière encombrée de plantes grimpantes qui avaient élu domicile sur le tronc d'un arbre géant qui avait emporté ses plus petits congénères dans sa chute.

La nuit commençait à peine à tomber, les chiens songeaient à rejoindre leurs niches à plusieurs kilomètres en arrière, derrière les palissades d'Aubaine, les loups s'éveillaient dans les profondeurs de la forêt, tout était entre deux, comme en suspens.
Assise sur le tronc, penchée sur un cercle de pierres dans lequel un feu brûlerait bientôt, une silhouette. Trop haute, trop fine trop... désarticulée, pour être humaine. Elle était enveloppée d'étoffes, son torse trop étroit sanglé de cuir sombre, un morceau de tissu cachait le bas de son visage, dissimulait l'absence de bouche, un chapeau érodé par le temps était posé sur la tête chauve, masquant l'absence d'yeux. Il avait beau ne pas avoir de nez, il portait des lunettes, petite rondes et fumées.

Il se dissimulait par égards pour la jeune femme, se rappelant très nettement la réaction d'Aaron la première fois qu'il l'avait vu tel qu'il était réellement. D'un geste de la main, il lui fit signe d'approcher, les chuchotements et murmures qui l'avaient escortée fidèlement se turent, aspirés par le Sans-Visage.[/i]

[i]Prêter cours aux murmures, poursuivre leurs vagabondages, se laisser guider par eux... Si Zenya s'était d'abord élancée à contrecœur, elle se sentait maintenant comme libérée d'un poids à chacun de ses pas. Elle suivait avec aisance le chemin qui s'imposait à elle, se plaisant à rebondir tel le son, d'arbre en arbre, de rocher en rocher, faisant ainsi montre de ses leçons, bien retenues et mises en pratique si souvent.

Aucun de ses mouvements n'était superflu, tous étaient calculés au millimètre, y compris les coups d'œil alentours, ou le retourné acrobatique pour surveiller ses arrières. C'était là Son Don après tout, quoi de plus naturel, alors qu'elle se rendait auprès de Lui, que de Lui montrer à quel point elle avait su en tirer partie. Il n'y avait fort heureusement pas eu de lichen pour venir se glisser sous ses pieds cette fois, aucun obstacle pour entraver son cheminement. Cela ne durerait sans doute pas, elle en était convaincue. Sa poisse légendaire l'accompagnait partout, alors pourquoi pas maintenant ? Mais même sa nuit fut tranquille, bien qu'elle ne dormit que d'un œil, comme à son habitude. Veillait-Il donc Lui-même à ce qu'elle arrive sans encombres ?

Que pouvait-Il donc bien lui vouloir ? Qu'avait-elle encore fait pour attirer Son attention une nouvelle fois ? Elle aurait préféré ne pas le savoir, que ça tombe sur quelqu'un d'autre, n'importe qui plutôt qu'elle. Mais il n'y avait pas d'échappatoire, il était bien trop tard pour faire demi-tour, pour reculer. Alors elle continua à avancer, une journée de plus, sachant déjà qu'elle aurait ses réponses, et sans doute bien d'autres questions avec Lui, bientôt, très bientôt...

Bientôt... La clairière, le feu. Et Lui. Elle ne s'attarda même pas à Le détailler, ce qu'elle aurait pourtant fait avec n'importe qui d'autre. Mais pas Lui. À quoi bon ? Quand bien même Il se présentait ainsi devant elle, comment aurait-elle pu Le décrire ? Ou ne serait-ce que songer à le faire ? Aussi c'est presque par dépit qu'elle le rejoignit, s'avançant juste assez pour que son visage fut visible à la lueur des flammes. Et alors que les chuchotements s'éteignaient, c'est son murmure qui se fit entendre. Comme si elle n'osait élever la voix plus haut que ceux qui lui avaient servi de guides jusqu'à Lui, devant lequel elle se tenait toujours debout en cet instant.[/i]

[list][color:59f2=red]"En quoi puis-je vous être utile ?"[/color][/list]

[i]Après tout, il s'agissait d'un contrat comme n'importe quel autre, non... ?[/i]

[i]Les chuchotements reprirent, nébuleuse de voix imperceptibles qui s'engouffraient dans une oreille de Zenya pour s'en échapper une seconde plus tard.
Il ne leva pas la tête vers elle, il n'en avait nul besoin.
Délicatesse d'une demande, assortie de l'implacabilité d'un ordre. Ses demandes n'étaient pas à prendre à la légère, jamais. Le seul à qui en principe il demandait était Aaron. Le seul qui avait été autorisé à le voir et à l'entendre clairement. Pour la simple et bonne raison qu'il se fichait royalement de ne pas le voir et de ne pas l'entendre. Il viendrait, lui aussi, plus tard. Quand Lui aurait transmis son message à cette jeune femme.

Tantôt voix d'homme, puis de jeune fille, d'enfant, avant d'être celle d'une vieille dame édentée, les chuchotements se précisaient, nulle peur dans les souvenirs de ceux qui s'étaient offerts à Lui. Ils étaient venus de leur plein gré, avaient demandé, avaient été acceptés. Avec de la concentration, elle pourrait presque distinguer sa propre voix au milieu du chœur.[/i]

Zenya.... Trouve... Cherche... Cherche La. Trouve où se cache la Divine. Tu as mon aide... Trouve La. Et dis-lui. Il doit aller la rejoindre. Aaron. Cherche. Trouve. Dis.

[i]Les mots n'étaient pas clairs, ils ne l'étaient jamais. Et il savait que les humains avaient peine à comprendre. Malgré leur intelligence appréciable, ils avaient peine à le comprendre. Même Aaron avait encore du mal aujourd'hui. Le feu se reflétait dans les verres fumés, et dans les flammes, pour accompagner la litanie de mots qui s'enroulaient comme un serpent se mord la queue, des images dansèrent.[/i]

Cherche. Trouve.

[i]Flou, brumeux, un vieil autel de pierre fendu en deux, dévoré par les plantes grimpantes, entouré de larges dalles dont peu avaient survécu aux assauts de l'herbe et du chiendent.[/i]

Dis.

[i]Une esquisse de visage, un nez pointu, une bouche qui devrait sourire tordue par l'agacement. Enveloppé de blanc, de beige, de quelque chose de clair.[/i]

Cherche. Trouve.

[i]Des colonnes rongées par la mousse, certaines abattues, d'autres brisées, celles qui tiennent encore debout penchent dangereusement.[/i]

Dis.

[i]Une haute silhouette, aux épaules puissantes, du blanc parsemé de bleu.[/i]

Zenya.