Le Meilleur des Mers est toujours ouvert [Libre]

Adossée à un montant de bois, Mheri, une vieille pipe d'écume coincée dans le bec, se tord le cou pour entrevoir le ciel, à travers les passerelles, plate-formes et morceaux d'étoffes qui bouchent la vue. Ca a quelque chose de rassurant, ce fouillis qui s'étale au-dessus des têtes, et elle, à vivre ici depuis toujours, a pris l'habitude de dénicher un coin de ciel dégagé pour regarder la nuit tomber. Bien sûr, elle pourrait aller jusqu'aux quais pour prendre une grande inspiration et écarter largement les bras, embrasser l'espace et admirer l'horizon. Mais ça lui semble très vide tout ça depuis que son pêcheur de père est mort.

Alors autant assécher une pipe bourrée d'une matière à l'origine indéterminée, qui tout du moins dégage une bonne odeur de pomme. Derrière elle, les petits fourneaux tournent et grésillent, quelques brochettes de poisson déjà sont prêtes et laissées bien au chaud, une gamelle de riz sauvage, de celui qui est cueilli dans les marais et qui se négocie à un prix ridiculement faible, bien épicé, tassé en petites boulettes, ou étalé dans un bol, il fait un très bon contrepoint aux sardines ou au thon bien gras qu'on pèche très facilement non loin de Baie de l'Aube. Quelques coques aussi, qu'elle est allée ramasser dans les rochers, embrochées sur des piques taillées dans du bois flotté, braisées, très sommairement épicées.

Rien que de très commun, mais elle le cuisine bien, et ses prix sont loin d'être élevés. C'est le secret pour attirer le chaland, un coin pour s'asseoir, une serveuse pour discuter, et surtout, des arômes alléchants qui ne videront pas votre bourse.

Le début de soirée, c'est le moment où l'agitation commence à se faire plus fiévreuse. Perchée entre deux eaux, sa gargote lui permet d'avoir une bonne vue sur le Bazar. Au fond, parler de sol serait bien exagéré, on trouve surtout les commerces louches. Rien de légal ou d'illégal ici, tout se vend, tout s'achète, et si elle n'avait pas soigneusement cultivé son côté garçon manqué, elle aurait certainement été attrapée et vendue quand son père a disparu.

Ça la fait sourire, aujourd'hui, elle a quelques clients qui aiment assez sa nourriture et sa discussion pour pouvoir envisager d'obtenir d'eux une certaine protection le cas échéant. Ses yeux se promènent, sur les femmes, les hommes, les riches empruntés qui jouent les touristes et vont sûrement se faire détrousser, les pauvres désespérés qui fouinent à la recherche de quelque chose à chaparder.

Un vague courant d'air agite ses cheveux, elle a l'air tout à fait à sa place, un peu trop mince, pieds nus, un simple pantalon rapiécé, un morceau de tissu rouge noué sur les hanches, le même se retrouve dans ses cheveux.

Elle attend, guette presque, celui ou celle qui aura l'air d'avoir faim, d'hésiter à s'approcher, pour au moins avoir l'occasion d'un sourire avenant, voire de quelques mots, pour attiser la faim et convaincre de s'arrêter ici et pas ailleurs.

[size=9][HRP: M'suis permis de m'incruster, j'espère que ça gêne pas ][/size]



[b]L[/b]e moment de la journée que Merle préférait plus que tout était les débuts de soirées. Mi Soleil-Mi Lune, on pouvait encore apercevoir le visage des hommes et femmes qui passaient par là, tout en se rendant compte qu'ils commençaient peu à peu à s'effacer pour ne laisser place qu'à de simples silhouettes.

[b]H[/b]abituée au sombre et à la nuit, il était plus facile pour elle de se déplacer sans craintes, en toute discrétion comme elle l'avait toujours fait depuis son séjour au Palais.
Adossée contre un mur, appuyée sur le pied droit, le gauche ramené sur le mur également, les bras croisés, sa petite capuche sur la tête, Merle guettait. Elle guettait ce petit homme, légèrement enrobé, tenant par la taille cette femme, si belle. Le contraste des deux personnages était presque choquant. Lui était petit, gros avec des doigts boudinés. Son crâne, quasiment dégarnie et ses petits yeux de cochons donnaient presque envie de vomir. La femme quant à elle était grande, belle et élancée. De magnifiques jambes et des cheveux étincelants. Merle ne chercha pas à comprendre plus que cela. Le nom de cet homme était écris sur le contrat, elle devait le tuer.

[b]V[/b]oyant qu'ils disparaissaient peu à peu, Merle s'empressa de les suivre, toujours aussi discrètement qu'une ombre. Ils s'arrêtèrent devant un marchand de bijoux. Merle quand à elle s'arrêta à côté une marchande de nourriture. Ce que cette femme avait préparé sentait plutôt bon et son visage laissait penser qu'elle n'était pas du genre à arnaquer. N'ayant rien mangé depuis le début de sa " quête " c'est à dire un jour et demi, Merle s'avança vers la jeune femme tout en ne quittant pas sa future victime des yeux.

[list] - [b][color:7e74=brown]U[/color][/b]ne brochette de poisson s'il vous plaît.[/list]

[b]D[/b]'ordinaire, elle n'était guère polie, plutôt rude mais ce n'était pas le bon moment pour ce faire remarquer. Elle fut rapidement servie. Cette bouffe sentait vraiment bon, elle allait se régaler. Ses yeux rouges étaient toujours fixés sur son homme.

[list] - [b][color:7e74=brown]C[/color][/b]ombien ?[/list]

[b]E[/b]lle sortit alors quelques pièces de sa poche. Elle ne se baladait jamais avec des sommes importantes, surtout pas ici (...)

Elle avait l'habitude des clients étranges, et cette jeune femme aux yeux rouges ne dérogeait pas à la règle. Malgré ses airs de petite fille, elle avait ce je ne sais quoi de ceux à qui elle ne parlait pas d'autre chose que de la pluie et du beau temps. Inutile de prendre des risques, elle tient à sa vie, même si elle n'a rien d'excessivement folichon. Quel gâchis ce serait que d'avoir un mot de trop au mauvais moment, stupide même. Et elle pouvait porter bien des qualificatifs, mais pas celui de stupide, non.

La pipe bien coincée entre ses dents, elle se penche par-dessus le comptoir pour y choisir une brochette dorée à point. Bien remplie également, mais elles le sont toutes. Mheri a toujours préféré tabler sur l'honnêteté et l'intransigeance quand il s'agit des affaires. Il lui déplairait fort de voir un client insatisfait décider soudainement que la petite cabane qu'elle occupe ne mérite pas d'exister, autant gagner un peu moins sur ce qu'elle vend.

Elle tend la brochette avec un sourire détendu, pas un regard ne lui a été accordé, c'est donc qu'elle n'est pas en ligne de mire. Elle n'a même pas tourné les yeux pour voir qui était si ouvertement fixé. Qui qu'il ou elle soit, c'était son problème, pas celui de Mheri. Les problèmes des autres n'étaient jamais ceux de Mheri.

[i][color:2699=olive]Trois cuivres.[/color][/i]

Une somme particulièrement modique étant donné la quantité et la qualité. Comme elle le dit toujours, mieux vaut extorquer une pièce de cuivre à mille personnes que dix à quelques idiots. Il n'y avait même pas matière à marchander sur un prix pareil, simplement à se régaler.
Elle ne se considère pas comme particulièrement généreuse, ça lui semble simplement logique de se protéger d'éventuels mécontents, et d'inciter les clients à revenir régulièrement. Cette méthode s'avérait tout à fait bonne au fil du temps. Même si elle ne gagne pas des milles et des cent, elle a de quoi vivre tranquillement. Et à Baie de l'Aube, ce n'est pas une mince affaire.
[color:2699=olive]
[i]Vous pouvez vous asseoir pour manger si vous voulez. J'ai du riz qui est presque cuit et de la bière bien fraîche si ça vous tente.[/i][/color]

Ah, elle ne serait pas commerçante si elle laissait une cliente, si potentiellement dangereuse soit-elle, s'en aller sans même avoir tenté de lui faire acheter plus qu'elle n'en avait l'intention au départ.

[b]T[/b]rois cuivres hein ? Ces brochettes là étaient données. Vu la quantité qui se trouvait sur cette brochette, le prix n'était pas celui qu'il aurait du réellement être. Enfin, elle allait pas se plaindre non plus, tant mieux, elle payerait moins.
Elle commença alors à manger. Il n'y avait pas à dire, l'odeur de ces brochettes ne l'avait pas trahit, elles étaient délicieuse.

[b]E[/b]lle posa soudainement ses yeux sur la vendeuse. Ses yeux rouges comme le sang. Elle alla donc s'asseoir comme la jeune femme le lui avait proposé, mais elle ne dit pas un mot. Une fois assise, elle continua de manger sa brochette, ses yeux à nouveau fixé sur l'homme qu'elle devait tuer.
Une fois le petit plat terminé, elle se leva pour rapporter le petit bâtonnet à la jeune et jolie vendeuse. Lui donnant en main propre elle ajouta.

[list] [b][color:8c6c=red]V[/color][/b]os prix ne sont pas ce qu'ils devraient être. Ces brochettes valent bien plus que trois cuivres.[/list]

[b]C[/b]e n'était pas dans son genre de parler aux gens comme cela, mais sans savoir réellement pourquoi la jeune femme à côté d'elle lui inspirait quelque chose de bien, ou plutôt quelque chose qui ne la menaçait pas.
Elle retourna à nouveau sa tête pour poser son regard sur la vendeuse.

[list] [b][color:8c6c=red]J[/color][/b]e vais prendre du riz quand il sera prêt. [/list]

[b]D[/b]'ordinaire, les gens pensaient que lorsqu'on leur faisait la conversation, on les trouvait sympathique ou intéressant. Merle, elle, ne pensait jamais cela des personnes avec qui elle échangeait rarement des mots. Elle préférait connaître la personne un peu plus avant de porter un jugement. Elle faisait également bien la distinction entre les personnes de ses contrats et celles qu'elle rencontrait de son plein gré. Au final, il valait mieux ne pas faire partie des personnes qu'elle devait éliminer, car là, elle est sans pitié, même si vous êtes la personne la plus sympathique au monde. Enfin, tout ça pour dire, qu'en terme relationnel, Merle n'aimait pas être poussée. Elle aimait prendre son temps avant de dévoiler des choses de sa personnalité.

[b]F[/b]inalement, elle se rassit pour attendre le riz. Son regard fut à nouveau posé sur les deux personnes qu'elle suivait depuis un assez long moment à présent.
[b][/b]

Un haussement de sourcils à la réflexion de sa cliente, tandis qu'elle reprend la baguette de bois. Voilà bien une des rares personnes qui râle sur ses prix. A moins que ce ne soit un compliment détourné. Bah, elle hausse les épaules avec un sourire.
[i]
[color:73fe=olive]Contente que mon poisson vous plaise.[/color][/i]

Laissant sa pipe à l'extérieur autant pour éviter d'enfumer la toute petite salle qui n'est que modérément aérée, et pour ne pas gâcher les odeurs de nourriture susceptibles d'attirer d'autres clients, elle contourne le long comptoir pour aller s'occuper du riz. Elle l'égoutte, le verse dans un grand plat puis, sans oublier de se laver sommairement les mains, dépose une assiette qui tient plus de la plaque de bois à peine creusée que de la porcelaine devant la jeune femme. Elle tasse deux grosses boulettes de riz qui viennent y trôner, puis ajoute une fourchette et un petit pot en bois plein d'une sauce fumante dont l'arôme est propre à faire saliver ceux qui aiment les épices.
[color:73fe=olive]
[i]Vous voulez quelque chose à boire avec ça?[/color][/i]

Vraiment étrange, cette cliente, avec ses cheveux ébouriffés et son allure de celle que l'on oublie vite, ou tout du moins à qui l'on accorde peu d'attention. Mais ces yeux rouges, qu'est-ce qui a bien pu lui valoir ça? Peut-être est-elle maudite, pour ce qu'elle en sait, les dieux ne sont pas très tolérants, et il suffit parfois de peu pour se faire quasiment foudroyer sur place. Mais ces pensées resteront pensées, elle n'ira sûrement pas jusqu'à les exposer.

Cela dit, si elle connait les noms des trois dieux, si elle est au courant de l'existence du palais du Sans-Visage, ses connaissances dans le domaine s'arrêtent là, ou presque, elle est au courant de l'existence de certains dons, elle en a entendu parler, elle a saisi des rumeurs. Mais il s'agit tout à fait du genre de choses dont elle reste à l'écart malgré sa curiosité, il paraitrait que ceux qui ont un don sont souvent frappés de folie. Enfin, vu la crédibilité de l'ivrogne qui lui a raconté ça, pour ce qu'elle en sait, ça peut très bien être absolument n'importe quoi.