Lorsque le soleil rougeoie ... [Laurentius Lamberski]

[i]... on pourrait croire que le ciel s'embrase ; que la fin du monde est arrivée, et que tout va se terminer dans les flammes et l'horreur. Ou alors on peut admirer cette lueur dorée que prennent les choses, comme si le créateur voulait à la fois nous montrer la beauté des choses, et leur nature éphémère.

Elle s'était réveillée en sursaut ce matin-là, dans la maison silencieuse. Un rire dément résonnait encore à ses oreilles ; elle était en sueur. Encore un de ces cauchemars si récurrents. De l'eau froide sur son visage avait eu tôt fait d'effacer tout cela. Laurence était parti depuis environ deux mois, déjà.
Enfilant un pantalon et une tunique qui, malgré leur aspect simple, la mettaient assez en valeur, elle songea aux exercices qu'elle devrait faire. Des séries de mouvements de combat qu'elle ne maîtrisait pas encore, et qui lui permettrait de renforcer son corps.

Elle était sortie dans l'aube naissante et avait travaillé deux heures durant, avant d'aller se détendre dans la salle d'eau. Un bain d'eau bien chaude, agrémenté de quelques plantes lui avait permis de se détendre et de se nettoyer correctement.

Puis elle avait rejoint la boutique de son père après avoir déjeuné comme à son habitude lorsque Laurentius était au loin. Il avait de plus en plus de client, et de plus en plus d'années à son compte. De l'aide avait toujours été bienvenue, et cela lui permettait de garder le contact avec la seule famille qui lui restait.

Le reste de l'après midi avait été consacré à l'étude. Et lorsque la lumière avait commencé à décliner, son esprit s'était évadé, ses yeux s'étaient perdus dans l'immensité du ciel. Son livre encore ouvert sur ses genoux, elle avait contemplé le monte se teinter de rose et d'or.

Puis un mince sourire s'était épanoui quelques instants sur ses lèvres. Laurence rentrait enfin.

Elle se leva pour remettre une bûche dans la cheminée, puis alla faire chauffer de l'eau. Il aurait sûrement besoin de se détendre. Le Tout-Puissant avait écouté ses prières, il était vivant. Elle se replongea dans son livre en attendant qu'il pousse la porte.[/i]

Lorsque le soleil rougeoie, l'homme craint pour sa vie. Les ombres sont grandes à l'approche de la nuit, mais le ciel enflammé masque leur contenu aux yeux du Voyageur. Dans d'autre circonstances, Laurentius aurait put monter sur un toit pour admirer ce coucher de soleil, mais pas ce jour-là. Non, ce jour-là, Laurence rentrait chez lui.

Une main posée sur la clenche de la porte de sa maison, un doute l'assaillit. Était-ce vraiment chez lui? Oh, assurément, cela l'avait été, mais l'était-ce encore maintenant? Ces trois dernières années, il avait passé plus de temps à dormir sous une tente ou dans la chambre d'une auberge que dans son propre lit.

Si Miry ne s'occupait pas de la maison, cette dernière serait surement à l'abandon, ou peut-être bien réquisitionner par quelques sans-abri de la ville, alors était-ce vraiment sa maison?

Un soupir plus tard, il savait. Ce n'était peut-être pas sa maison, mais c'était assurément ce qui s'en rapprochait le plus pour lui.

Baissant la poignée, il poussa la porte et entra. Pas vraiment étonné de voir la maison éclairée, il soupira d'aise en sentant la chaleur à l'intérieur, et s'y réfugia. Cela avait quand même du bon d'avoir cette jeune fille... jeune femme, se reprit-il, à la maison. Certes, elle n'économisait pas toujours la bougie, mais c'était agréable de rentrer après un long voyage et de trouver une maison chauffée et éclairée à son retour.

Il pendit son épaisse cape de laine bleue, et s'assit sur une chaise pour entreprendre de retirer ses bottes. Il n'oublia pas pour autant de dire bien fort :

"Je suis rentré Miry!"

Un sourire au lèvre, il soupira d'heureux chef. Bien qu'exténué, anxieux à cause des assassins, et donc sur le qui-vive, en cet instant, il était bien, au chaud, chez lui.

Au son de la porte, la jeune femme referma son livre et le posa sur la table la plus proche. Lorsqu'elle avait senti l'approche de Laurentius, elle s'était empressée d'allumer quelques bougies, pour rendre la maison vivante. Si elle avait fait un voyage aussi long, elle aurait aimé retrouver sa maison éclairée, et accueillante. S'éclipsant dans la cuisine pour mettre les plantes à infuser, elle l'écouta se dévêtir. Il semblait heureux de rentrer.
Souriant à l'écoute de la voix masculine de son "maître", elle se dirigea vers l'entrée et s'adossa au chambranle de la porte.

- Sois le bienvenu chez toi, lui dit-elle avec douceur et un sourire accueillant.

Elle l'observa attentivement, et vit les changements qui s'étaient opérés en lui. Il avait le visage mangé par sa barbe, les habits déchirés, tâchés de boues à quelques endroits. Mais il était surtout las, sur ses gardes, avide de pouvoir se reposer réellement et inquiet, également. Miryäna pouvait sentir tout cela suinter depuis l'endroit où il se tenait. Peut-être que le moment était venu de lui révéler son secret ; elle décida qu'elle aviserait si la situation s'y prêtait, plus tard. Pour le moment, il avait le droit de se reposer.


- Que dirais-tu d'une infusion pour commencer ? Fit-elle en lui indiquant la direction de la cuisine du doigt. Et ensuite, un bon bain, ajouta-t-elle en fronçant le nez pour le taquiner.

Elle était soulagée de le voir rentrer sain et sauf. Il était déjà en rentré en bien plus mauvais état. Le revoir lui mettait du baume au coeur ; la maison lui avait parue affreusement vide lors de ces deux mois, comme à chaque fois qu'il la quittait, en fait.

Laurentius sourit en la voyant arriver, et la regarda un instant, sans rien dire. Une pensée l'effleura soudain. Est-ce que cette jeune femme était comme sa fille, ou plus comme sa femme? Une personne qui l'attend, qui tient sa maison en son absence, et est aux petits soins pour lui lorsqu'il rentre... Était-ce une fille, ou une femme? Un peu des deux... Après tout, c'était un peu comme s'il l'avait élevé lui même.

Il lutta ensuite un instant contre ses bottes, les retirant pouce par pouce pour enfin libérer ses pieds endoloris avec un soupir d'aise.

"Non, je crois que je vais sauter l'étape infusion. L'eau du lac des trois cimes était trop froide pour pouvoir s'y baigner, donc cela fait une semaine que je rêve d'une bassine d'eau chaude!"

Il hocha la tête, et se remit sur ses pieds, puis retira son ceinturon, déposant délicatement les deux paires de lames sur la chaise derrière lui. Il y déposa aussi les deux dagues ornant le bas de ses chausses.

"En plus, j'ai tellement froid qu'une infusion ne suffira pas à me réchauffer. Et de l'aubépine dans le bain me fera le plus grand bien... Je ne sens plus mon postérieur... J'ai chevauché à vive allure toute la journée pour être là aujourd'hui tu sais."

Il se détourna, et vérifia que la porte était bien verrouillée derrière lui, avant de se diriger vers la salle d'eau. En chemin, il récupéra machinalement une des dagues qu'il avait déposé sur la chaise. Tout le long du couloir, il laissa choir ses vêtements, pour ne rester qu'en chausses. Sur un râtelier, en passant, il déposa ses deux bracelets de force, et entra finalement dans la salle tant désirée. Dans son dos, une nouvelle cicatrice était visible, légère mais bien là.

Depuis la pièce, il demanda, sans se retourner :

"Tout s'est bien passé durant mon voyage?"

La jeune femme laissa un instant son regard bleu perçant posé sur l'homme qui se tenait devant elle. Si elle n'avait pas entendu cette voix si familière l'appeler par son surnom, elle ne l'aurait probablement pas reconnu. Son visage était mangé par un barbe fournie, et ses traits étaient las, pleins d'inquiétude. La couleur de ses vêtements n'était plus qu'un souvenir à cause de la poussière, de la boue, et encore d'autres choses ; ils étaient déchirés, également.

"Non, je crois que je vais sauter l'étape infusion. L'eau du lac des trois cimes était trop froide pour pouvoir s'y baigner, donc cela fait une semaine que je rêve d'une bassine d'eau chaude!", l'entendit-elle prononcer après avoir retiré ses bottes.

Ses yeux dérivèrent en direction des armes qu'il posait petit à petit sur la chaise. Les deux paires de lames semblaient avoir gagné quelques éraflures de plus, striant l'éclat argenté du métal de veinules plus sombres. Les dagues avaient elles aussi souffert, mais se rappelait-elle bien ? Avec un pincement au creux de son ventre, Miryäna vit que les lames jumelles n'avaient pas été nettoyées totalement. Elle détourna les yeux. Ce n'était pas comme si elle l'ignorait.

"En plus, j'ai tellement froid qu'une infusion ne suffira pas à me réchauffer. Et de l'aubépine dans le bain me fera le plus grand bien... Je ne sens plus mon postérieur... J'ai chevauché à vive allure toute la journée pour être là aujourd'hui tu sais."

- C'est ton choix, tes besoins, répondit-elle en souriant. J'en prendrais une pendant ton bain ! En attendant, je vais te chercher l'aubépine. Va vite dans l'eau, elle est chaude.

Avec un regard malicieux, elle se dirigea vers la cuisine, non sans remarquer qu'il vérifiait si les verrous de la porte étaient en place. Il n'était pas tranquille, cela se voyait. Et Miryäna, avec son "sixième sens", le savait mieux que personne. L'inquiétude suintait de tout son être. Elle prit une pincée d'aubépine et une de thé noir ; elle jeta le thé noir dans une tasse d'eau bouillante, et repartit vers la salle d'eau.

Arrivée dans l'entrée, elle se figea. Il avait même emporté une de ses dagues pour prendre son bain. Cette fois-ci, la situation était sérieuse, même s'il était rentré sain et sauf. Elle l'avait déjà retrouvé bien mal en point ... Mais le Tout-Puissant avait veillé.
Elle soupira, puis ramassa un à un les vêtements semés à terre, en avançant doucement. C'est à ce moment qu'elle l'entendit lui demander si tout s'était bien passé. Elle hésita. Elle avait eu des crises d'une intensité encore jamais éprouvée, et les cauchemars étaient revenus. Ils augmentaient toujours lorsque Laurentius partait.

Déposant les vêtements de Laurentius sur le ratelier, se raisonna. Puis elle répondit finalement en entrant dans la salle déjà envahie par la vapeur d'eau, tout en versant la poudre d'aubépine dans l'eau. Laurence comprendrait sûrement ce qu'elle voulait dire, aussi elle se contenta d'un :

- Comme d'habitude. Rien de bien exceptionnel.

Elle ressortit de la salle d'eau et s'assit à même le sol, le dos appuyé sur le mur. Ainsi ils pourraient parler en paix. Elle demanda d'une voix posée, neutre :

- Comment cela s'est-il passé, pour toi ? Et ne pense même pas à me répondre par les mots que j'ai prononcé. Tu as pris ta dague pour un bain, Laurence ... Ça ne te ressemble pas, ou peu.

Laurentius baissa les yeux sur la dague qu'il avait dans la main. Effectivement, ça ne lui ressemblait pas... Il était chez lui, dans son bain... Peut-être était-ce dut à l'habitude des auberges?... Non, il savait pertinemment que ce n'était pas cela. Il soupira, haussa les épaules, et se coula dans son bain après avoir déposé la dague près de la bassine.

"Bah, il faut bien se raser non?, dit-il, laissant planer la phrase anodine un instant dans l'air, puis reprit, plus sérieusement : "Non, bon, d'accord... Après tout, tu vis sous ce toit plus de temps que moi, tu as bien le droit de savoir."

Il se passa un coup d'eau sur le visage, et soupira, appréciant la chaleur de l'eau. Oh, qu'il avait envier ce moment, durant les deux dernières semaines... Au chaud, avec quatre murs autour de lui, et une compagnie, qui même si elle pouvait se montrer exaspérante, était la bienvenue. Il reprit alors la discussion :

"J'ai récupérer une relique en Enh'Kilath... Enfin, je l'ai plutôt volée à vrai dire... Et cela a un peu énerver le propriétaire, qui a décider d'envoyer ses hommes pour la récupérer. Donc, pendant un moment, je vais faire attention vois-tu?"

Il s'étira longuement, laissant jouer chacun de ses muscles courbatu, et soupira d'aise de nouveau. Au fur et à mesure que son corps se relaxait, son esprit s'apaisait. Finalement, il lâcha d'un ton presque bienheureux :

"Ah, que le Tout-Puissant bénisse mille fois l'inventeur de l'eau chaude! Tiens, Miry, peux-tu remettre de l'eau à chauffer, je crois que je vais rester longtemps là dedans, c'est si bon! Il manquerait plus qu'une masseuse, et je serais au paradis!"

Des souvenirs affluèrent alors, d'une masseuse justement. Après tout, voyager avait du bon, et cette soirée là dans une baignoire de trois pas de large avec une masseuse experte en faisait clairement parti.

Miryäna s'était bloquée. Au son de ce nom tant haï, elle s'était penchée par l'ouverture de la porte et avait tourné son regard vers Laurentius. Mais les mots qui accompagnèrent ce nom furent encore plus dévastateurs. Des tueurs allaient venir pour récupérer ladite relique. Il allaient la reconnaître, et l'emmener pour la donner à l'Oracle. Et ils ne reviendraient pas sans Miryäna. Elle le savait. Quand l'Oracle mettait à prix une tête, cette tête le restait jusqu'à ce que la personne soit ramenée à Ehn'Kilath, ou qu'elle ait trouvé sa fin.

Miryäna n'avait pas écouté les paroles qui avaient suivi, ni la demande finale. Son ancienne peur revenait l'habiter, cette peur qui la faisait encore se réveiller en sursaut certaines nuits. Cette peur que Laurence connaissait, mais dont il ignorait tout de l'origine. Des tremblements incontrôlés la parcoururent et elle balbutia :

- Ehn'Kilath ... ? La récupérer ... ?

Elle était véritablement paniquée. Elle avait besoin qu'on la rassure. Elle n'était plus la jeune femme calme, mais était redevenue l'enfant traumatisée par ce qu'elle avait pu voir, ressentir, éprouver. Oubliant totalement où elle était, elle s'approcha un peu plus et demanda à Laurentius d'une voix paniquée :

- Ils vont venir ici ?

Laurentius leva un sourcil en la voyant passer la tête. Toute pensée érotique s'en alla instantanément en voyant les yeux apeuré de la jeune femme. Certes, ce qu'il avait dit n'était pas rassurant, mais ce n'était pas la peine de se mettre dans des états pareils.

Miry s'approcha légèrement, et il comprit soudain. Lui était un assassin, rompu au maniement des armes, aux poisons et à la mort. Il courrait sur le fil du danger à chaque instant, mais elle, ce n'était qu'une fille normale qui sortait à peine de l'adolescence, et qui n'avait jamais vu la mort en face, à l'exceptions d'animaux à abattre.

Il grimaça, se traitant d'imbécile, et haussa ensuite les épaules. Il prit une voix rassurante et calme, et dit doucement :

"Ils ne passeront pas les murailles de la ville, ne t'en fait pas. Et même si cela était le cas, on peut se protéger ici tu sais? Rappelles-toi, je passe ma vie sur les routes, et j'ai tuer plus d'hommes qu'à mon tour. Alors ne t'en fait pas, je ne crains rien ici, tant que je suis un peu sur mes gardes... Et comme il n'y a qu'avec une femme que je ne le suis pas, on est tranquilles hein?!"

Il sourit, et se passa une main derrière la tête, tâtant l'emplacement d'une ancienne bosse. La dernière fille de joie qu'il avait embaucher avait faillit l'assommer en essayant de lui voler sa bourse.

C'est vrai qu'il avait un peu peur, mais il avait aussi foi en ses capacités. Assassin contre assassin, il avait toutes ses chances, surtout dans sa ville, sur son territoire. S'il était en Enh'Kilath, encore, d'accord, mais ici, aucun risque!

"Et puis, tu sais, Enh'Kilath c'est loin, et cela fait déjà deux mois, et je n'ai subit qu'une seule de leurs attaques. Alors ils ont peut-être déjà abandonner... C'est pas comme si j'avais volé une relique à l'Oracle hein, c'était un vieux bourgeois qui ne savait pas ce qu'il possédait!"

Il sourit de plus belle, essayant de la rassurer, et finalement lâcha :

"Faut pas s'inquiéter comme ça voyons, je sais ce que je fais."

Il essayait de la rassurer, avec la gentillesse qui le caractérisait. Aussi elle encaissa sans mot dire l'allusion à la présence d'une femme à ses côtés ; de toute les façons, il la connaissait depuis qu'elle était encore une enfant, son regard sur elle ne pouvait pas être différent.

Mais ses paroles sonnaient creuses. Une relique avait été volée en Ehn'Kilath, probablement une relique sacrée. Que le bourgeois ait eu connaissance de la valeur de sa possession n'avait aucune importance. Les plaintes se faisaient auprès du clergé de l'Oracle. Et si la relique en question avait une réelle valeur, les Servants le sauraient. Et d'assassins médiocres envoyés par un vieux bourgeois, on passerait à des tueurs redoutables. Et eux pénètreraient dans la cité.

Miryäna baissa les yeux. Auraient-ils réellement abandonné ? Elle ne pouvait y croire. L'Oracle n'abandonnait jamais ; elle avait le "soutien" des Deux, et son esprit n'était que trop tordu pour que l'abandon fasse partie de ses options. Laurentius ne pouvait pas le savoir, lui qui avait vécu toute sa vie sous la protection du Tout-Puissant. Il faudrait donc qu'elle le lui dise, pour qu'il ne baisse jamais sa garde.

- Même si ..., commença-t-elle de sa voix hésitante. Même si le bourgeois ignorait sa valeur, d'autres en auront connaissance ...

Sa gorge se serra, et elle déglutit avant de reprendre. Elle contint à grand peine un tremblement.

- Et l'Oracle n'abandonne pas, crois-moi.

Sa voix s'éteignit une fois encore, et un frisson d'horreur la parcourut.

- Je ne veux plus jamais avoir à la revoir ! Laissa-t-elle échapper d'une toute petite voix aux accents de panique.

Agenouillée sur le sol de la salle d'eau, le bas de sa robe imbibé d'eau, les yeux remplis de peur, elle semblait plus fragile que jamais. Se rendant compte de ce qu'elle venait de dire, elle plaqua une main sur sa bouche. Elle n'avait plus le choix. Laurentius allait poser des questions.

Laurentius écouta la jeune femme, et il fronça les sourcils quand elle parla de l'Oracle. Effectivement, on disait bien qu'elle n'abandonnait jamais... Mais ce n'est que quand Miry mit sa main sur sa bouche qu'il compris que quelque chose n'allait vraiment pas.

Il ne dit rien un moment, mais ses pensées cavalaient dans sa tête. Il savait bien que quelque chose ne collait pas avec l'histoire que son père lui avait raconté sur lui et sa fille. Il l'avait sut dès qu'il l'avait vu. Quoiqu'on en disait, une jeune fille qui n'a qu'à se reprocher des crises comme Miry en avait n'était pas aussi renfermée, aussi distante envers le monde qu'elle.

Il allait parler, mais resta la bouche ouverte, et réfléchit encore. Était-ce vraiment le moment de l'ennuyer et de la questionner pour qu'elle révèle un passé qui était capable de l'envoyer recroquevillée par terre? Il décida que non. Laurence haussa les épaules, et sourit de nouveau, calmement, et dit sans réel étonnement dans la voix :

"Tu m'en dira plus le moment venu. Pour le moment, sache une chose Miry, il faut te calmer. Tu crois que si je pensais qu'on risquait autant de choses que tu as l'air de le craindre, je resterais dans mon bain tranquillement? Ais confiance en moi..."

Son sourire sincère se mua en un petit sourire de conspirateur, et il baissa la voix d'un cran.

"J'ai dans cette ville des alliés aussi, voir plus, puissant que l'Oracle, alors ressaisis-toi et lèves-toi. Ne m'oblige pas à sortir de ce délicieux bain, ou je t'assure que tu ne pourra plus t'asseoir sans un coussin pendant au moins une semaine! Ce n'est pas parce-que tu es grande que je ne peux plus te donner la fessée hein!"

Il lui fit un clin d'oeil, et éclata de rire. Un rire qu'il voulait franc, mais au fond de lui, une partie était toujours sur ses gardes. Mais après tout, quoi de plus naturel dans sa situation?

Oui, il fallait qu'elle se calme. Ou une crise finirait par survenir. Lorsque Laurence lui demanda de lui faire confiance, cela lui fit l'effet d'une douche froide. Elle était injuste envers lui de douter ainsi qu'il saurait la protéger. Mais elle ne pouvait faire taire cette voix hystérique dans sa tête. Elle ne pouvait pas non plus s'empêcher de frissonner à l'idée que ses cauchemars se réalisent.

Contenant son étonnement, elle ne releva pas pour autant les yeux. Il n'avait pas été surpris d'apprendre qu'elle cachait quelque chose. Ou plutôt, la surprise avait été de si courte durée que Miry avait à peine eu le temps de la ressentir. Décidément, cet homme était habitué aux non-dits.

Elle reposa doucement ses mains sur ses cuisses lorsqu'il se mit à rire, et releva les yeux vers lui pour esquisser un très faible sourire. Elle se releva vivement, et s'arrêta juste sur le pas de la porte, encore tremblante. Avec un sourire légèrement forcé, elle dit :

- Excuse-moi. Je vais te faire chauffer de l'eau.

Et elle s'éclipsa sans un mot de plus. Une fois dans la cuisine, les larmes lui montèrent aux yeux, signe qu'elle était effectivement en train de se calmer. Le stress retombait, doucement. Elle mit l'eau sur le feu et se laissa glisser jusqu'à terre, adossée au mur adjacent à la cheminée. Elle laisse ses larmes couler en silence. De toute façon, elle sentirai lorsque Laurence commencerait à avoir froid. Et elle lui apporterait l'eau.

Il venait de rentrer, elle n'avait pas le droit de lui gâcher son retour.

Laurentius la regarda quitter la pièce, et soupira. Quel retour, lui qui ne révait que d'un bon bain chaud et d'un repas. Mais au moins, cela l'avait conforter dans une de ses réflexions du voyage : Miry n'était clairement pas assez mûre pour l'aider dans son "travail". La réaction qu'elle a eu dès qu'il eu parler d'Ehn'Kilath ne laissait aucune place au doute.

D'ailleurs, cette réaction voulait bien dire quelque chose. Elle avait déjà eu mailles à partir avec ce pays... Et qui plus était avec l'Oracle lui-même.

Il soupira, et haussa les épaules : elle ne craignait rien d'eux, car jamais ils ne pourraient la reconnaitre. Il l'avait prit à son service voilà déjà de nombreuses années, et de petite fille, elle était devenu femme. Personne ne pourrait ne serait-ce qu'imaginer que cette femme pourrait être la jeune fille qu'il avait connu au tout début.

Une pensée lui passa à travers la tête. Peut-être avait-elle eu ces problèmes après être devenu son apprentie? Non, cela était impossible. Il lui avait fallu un mois pour faire le voyage de la Cité des Lumières jusqu'en Ehn'Kilath, et il ne s'était jamais absenté assez longtemps pour que cela n'arrive. Donc tout cela s'était passé lorsqu'elle était enfant.

Il devrait interroger son père... Son père! Voilà un lien qui pourrait relier l'enfant d'alors à la femme de maintenant! Devrait-il l'éliminer? Cette pensée lui tira un frisson, mais il secoua la tête. Non, inutile d'aller jusque là. Par contre, il devrait lui écrire une lettre.

"Cher monsieur, j'ai eu recemment quelques démélés avec Ehn'Kilath, et il m'est apparu que votre fille, et surement vous, en avez aussi eu dans le passé. Je peux tout à fait protéger Miryäna, mais il n'en est pas de même pour vous. C'est pourquoi je vous écris aujourd'hui.

Je vous invite à passer quelques mois loin de votre fille et de moi, car si elle, elle ne pourrait pas être reconnu, vous par contre le serez facilement. Et, bien que cette possibilité soit déjà infime, je pense qu'il n'est pas nécessaire de prendre ce risque, si infime soit-il.

Lors de mon dernier voyage, je suis passer par un petit village du nom d'Autonal, un peu au nord du lac des trois cîmes. Leur herboristes est mort voilà maintenant quelques semaines, et bien que j'ai jouer ce rôle deux jours chez eux, il leur en faut un nouveau, au moins le temps que l'apprenti qui était au service du défunt soit capable d'assumer ce rôle.

Je ne doute pas un instant qu'ils accepteront de vous loger et de vous nourir si vous leur proposez vos services. Ainsi, vous serez occupé, utile, et loin de votre fille, pour sa sécurité.

Je vous invite à donner cette explication ci à Miryäna, pour qu'elle ne soit pas plus inquiête.

Soyez rassuré, je m'occuperais d'elle comme je l'ai toujours fait."

Oui, c'était ce qu'il y avait de mieux à faire, il en était certain.

Un frisson le parcouru soudainement, et il se rendit compte que cela faisait un bout de temps qu'il réfléchissait, et l'eau n'avait evidemment rien trouver de mieux à faire que de devenir froide. Sans même réfléchir plus avant, il cria à travers la maison :

"Miry, je suis congelée, tu peux amener l'eau chaude s'il te plait?"

Pendant ce temps, il prit sa dague, une serviette, et commença à se raser à l'aide d'un petit miroir. L'avantage de l'eau froide, c'était qu'au moins, il n'y avait pas de buée sur la glace.

Alors même qu'il appelait pour que la jeune femme lui apporte de l'eau chaude, elle pénétra dans la salle d'eau, comme si elle avait pressenti qu'il allait en avoir besoin. Comme elle faisait toujours, en fait.
Elle versa silencieusement une première bassine remplie d'eau bien chaude, presque bouillante, puis une autre. Mélangée à l'eau froide, cela redonna une température agréable au bain, tout en en élevant un peu le niveau.

Elle paraissait calme à présent, presque trop. Miryäna regarda Laurentius commencer à se raser, puis demanda posément :

- Que veux-tu manger ce soir ?

Tout en attendant la réponse, elle sonda Laurentius, car elle avait senti son hésitation de l'instant d'avant. Que préparait-il ? Il semblait bien déterminé. Mais elle sentit aussi qu'elle ne pourrait pas savoir pourquoi.
Soupirant intérieurement, elle songea à ce passé qu'elle devrait bientôt dévoiler, entre autres choses. Le temps du secret était révolu, la peur célébrait son avènement. Ou plutôt sa renaissance.

Laurentius la regarda faire, un peu intriguer, avant de se remettre à se raser délicatement. Cela faisait longtemps que sa peau n'avait pas sentit le contact glacé d'une lame, alors il ne fallait pas qu'il se coupe.

Quand Miry parla de diner, il sourit d'heureux chef, et répondit :

"Hum... Bonne question... Une salade, avec quelques oeufs, des asperges, quelques lamelles de viandes grillées, et pour le reste, je laisse libre court à ton imagination! Mais cela peut attendre, avant, il y a des choses à faire."

Il laissa la phrase en suspens pour réfléchir un instant, et finalement repris :

"Pourrais-tu aller dans l'atelier chercher du thé noir séché, du propolis si tu en trouve, ou à défaut de la cire d'abeille, et de l'huile essentielle? Tu m'amène tout le stock s'il te plait."

Il souriait maintenant franchement, et semblait amusé par avance. Après tout, il fallait bien faire quelque chose, et la mixture mettrait près d'une heure à être préparer. Et il n'avait aucunement l'intention de quitter son bain chaud de sitôt, même si l'eau était bien sale maintenant.

Il finit de se raser, et reposa la serviette, puis cria d'heureux chef à travers la maison :

"Amène moi aussi de la menthe poivrée, de la sauge et de la bardane, merci!"

Pour les premières plantes citées, la jeune femme pouvait deviner leur usage. Mais pour les autres demandes ... Qui savait ce que Laurence mijotait ? Mais elle n'était pas encore capable de réfléchir correctement. Avec un signe de tête, elle acquiesça à sa demande et rejoignit la réserve. Se souvenant de quelque chose, elle prit également un petit pot en terre cuite en surplus de tout ce que le jeune homme lui avait demandé.

Elle en profita également pour sortir les légumes et autres assaisonnements qu'il avait demandé, ainsi que de la farine, et de la levure de bière. Il faudrait aussi qu'elle aille chercher des oeufs. Mais pour le moment, elle devait débarrasser ses bras.
Intérieurement, elle remercia Laurentius du fond du coeur, car ses demandes successives lui permettaient de penser à tout sauf à ce qui venait de se passer. Les battements de son coeur et ses frissons se calmaient peu à peu, alors que son esprit se questionnait sur divers sujets.

Entrant dans la salle d'eau, la jeune femme tendit d'abord le petit pot à Laurentius, avec un léger sourire.

- Voilà le baume pour ta peau, si c'est bien ce que tu voulais faire. J'en avais préparé pour ton retour.

Elle en avait préparé plusieurs fois de suite, à mesure que la mixture arrivait à maturation. Elle remercia le Tout-Puissant de lui avoir permis d'en avoir un pot de prêt pour son retour.

- Si ce n'était pas ton idée de départ, je t'ai quand même apporté tout ce que tu avais demandé.

Elle déposa les petits sacs de plantes sur un tabouret près de l'eau, et se redressa pour le regarder. Elle avait encore cet air de statue de marbre, qui survenait souvent après les crises, lorsqu'elle cherchait à ne pas trop inquiéter l'homme de la maison, ou à lui cacher sa souffrance, de quelque nature qu'elle soit.

- As-tu besoin d'autre chose ? Sinon je me propose de préparer le diner.

Elle attendit droite et pâle, aussi digne qu'une femme de haut rang. Dans la lumière tremblotante des bougies et du petit feu brûlant dans l'âtre, elle aurait pu sembler terriblement froide et dure comme la pierre, mais étrangement belle comme les statues d'antan.
Son regard ne quitta pas Laurentius alors qu'elle attendait, totalement ignorante de l'apparence qu'elle pouvait avoir en ce moment. Elle attendait humblement, que son maître et ami daigne lui révéler ses souhaits, murée dans son propre esprit pour ne pas révéler accidentellement plus qu'elle ne le voudrait.

Inexpressive, voilà un terme qui caractérisait impeccablement la jeune femme en cet instant. Laurentius grimaça en la voyant comme cela. Oh, il la connaissait assez pour savoir qu'elle était de marbre comme cela pour se défendre du monde extérieur, mais cela coutait tout de même à l'homme.

Qu'est-ce qu'il n'aurait pas donné pour rentrer dans une maison, voir le sourire resplendissant d'une femme, et pourquoi pas deux mouflets lui courir dessus dès qu'il aurait mit un pied dans la maison? Mais il savait que cette vie n'était pas faite pour lui. Déjà, une femme vivait en sa maison, pour l'occuper en son absence. Mais là, en la voyant droite, figée, il ne pouvait que se dire qu'elle ne se considérait surement que comme une servante ou une apprentie, et qu'au final, son rôle n'était pas d'apporter joie et bonheur à Laurence, mais seulement de suivre ses enseignements et de le payer en retour en s'occupant des taches ménagères.

En la regardant toujours, il se dit que si un sourire venait orner ses lèvres, et qu'une expression au fond du regard qui promettait monts et merveille au fond du regard, elle serait une des femmes les plus attirantes de la Cité à n'en pas douter.

Il haussa les épaules. Si elle n'avait pas envie de le faire, qui était-il pour le lui imposer?

Il réalisa alors qu'elle lui avait parler, et qu'elle attendait une réponse, alors il dit, en bredouillant un instant :

"Ah... Ah bah non! Je profite de mon bain tant mérité moi. C'est toi qui va tout faire. En plus, c'est la meilleure façon d'apprendre."

Il prit la boite de baume, l'ouvrit, et la sentit, avant de hocher la tête.

"Avec un tout petit peu plus de vanille pour l'odeur, ça aurait été parfait, mais je te remercie d'y avoir penser quand même. Donc, première étape, faire bouillir le thé noir dans un fond d'eau. A côté, tu prépare dans un mélangeur à trois compartiment un peu d'huile essentielle, le propolis, et dans le troisième compartiment, ca sera le thé noir avec l'eau restante après ébullition."

Voilà qui devrait déjà lancer le travail. Toutefois, il était dommage qu'il n'ai pas ramener de safran de son voyage, cela aurait été bien utile.

Pendant que la jeune femme s'occupait du travail, il s'étala délicatement le baume sur ses joues, et soupira d'aise en se coulant de nouveau dans son bain tiède.

Le regard que lui rendit Laurentius et la déception qu'elle ressentit chez lui firent se serrer le coeur de Miryäna. Elle ne voulait pas le faire souffrir, c'était même le contraire. Mais elle parvenait toujours à le blesser. Lorsqu'il répondit enfin, ses mots effacèrent ses sombres pensées. La surprise vint se peindre sur le visage de la jeune femme, brisant le masque d'impassibilité qu'elle portait quelques instants auparavant.

"Ah... Ah bah non! Je profite de mon bain tant mérité moi. C'est toi qui va tout faire. En plus, c'est la meilleure façon d'apprendre."

- C'est vrai ?

Un sourire ravi apparu sur ses lèvres et une étincelle s'alluma dans ses yeux ; elle avait à présent l'air émerveillé. Elle adorait plus que tout apprendre de nouvelles choses, d'autant plus si cela venait augmenter son savoir déjà acquis. Et encore plus si c'était Laurentius qui supervisait l'enseignement.
Oubliant pendant un instant tout de la crise qui venait de survenir, elle servit un sourire radieux à Laurence.

- Je ferai plus attention la prochaine fois, pour le baume, fit-elle avant de sortir prestement pour aller chercher le mélangeur.

Lorsqu'elle revint, l'expression de bonheur n'avait pas quitté son visage, elle paraissait étrangement rassérénée. Elle avait enfermé ce qui lui faisait peur, et Laurence l'avait aidé à se changer les idées de la meilleure façon possible. Ses changements d'humeur ne manqueraient pas de le perturber, s'il n'y était pas déjà habitué.

La jeune femme s'assit à même le sol, s'entourant des plantes nécessaires, tout en écoutant les instructions de Laurence. Elle fit consciencieusement tout ce qu'il lui dictait, tout en imprimant définitivement le processus dans son esprit, son sourire flottant toujours sur ses lèvres.

Laurentius regarda la jeune femme sourire, et haussa les épaules. C'était décidément bien une apprentie. Il répondit toutefois calmement :

"Évidemment que c'est vrai, je n'ai pas pour habitude de mentir jeune fille."

Le ton de sa voix aurait put paraitre comme une réprimande, mais l'amusement de ses yeux le niait clairement.

Et la voilà qui sortait. Ah, qu'est-ce qu'il donnerait pas pour un massage! Se laissant couler au fond du bain, laissant juste dépasser la tête, le temps que le baume sèche, il ferma les yeux, comme prêt à s'endormir, quand Miryäna revint alors. Il la vit s'asseoir à même le sol, et haussa un sourcil, avant d'attendre patiemment qu'elle commence les préparations.

"Bien, alors ensuite, tu mélange lentement, en incorporant bien tout ensemble. Force bien sur le propolis, ce n'est pas facile à mélanger. Une fois tout ceci mélanger, tu remet à chauffer, mais au bain-Marie, pour que ça ne chauffe pas trop, sinon tu aura un emplâtre inutile, et tu sera bonne pour tout recommencer."

Il leva les yeux sur le plafond, et soupira, comme cherchant à se rappeler quelque chose. Finalement, il hocha la tête, et se tourna vers la jeune femme.

"Pendant que ca reste au chaud, tu va chercher des mûres, et un peu d'oristrenum. Tu verra, c'est un petit flacon avec fixeur marqué dessus. C'est un produit que j'ai ramener d'Aubaine voilà un moment. C'est fait à partir de feuilles de la plante d'oristrée, qu'on pile et qu'on mélange avec un peu d'argile des carrière de là-bas. J'ai chercher pendant un bon moment dans la région, mais on n'en trouve nul part ailleurs."

Il la laisse avancer dans sa préparation, et continu son explication :

"Tu broies les mûres, et les mélanges avec l'oristrenum. Environ une quinzaine de mûres pour un quart de verre d'oristrenum. tu va obtenir une pâte assez liquide, grâce au jus de mûres. maintenant, tu mélange ta préparation avec ce qui est resté au chaud, tu rajoutes... Ah, tiens, j'avais oublié... Donc tu rajoutes un peu d'alcool liquide distillées, il en reste peut-être dans l'atelier, jusqu'à obtenir une pâte très liquide. Et voilà, c'est prêt."

Laurence ne pouvait imaginer ce qui se passait réellement dans l'esprit tourmenté de sa protégée. Sortie avec brutalité de l'innocence alors qu'elle n'était pas prête, elle n'avait pu entièrement se construire correctement en tant qu'adulte. Alors, même avec une maturité hors du commun pour son âge, elle restait très immature, et même enfantine sur certains points. Notamment dans sa relation vis-à-vis de Laurence, qu'elle ne parvenait toujours pas à percevoir autrement que comme la personne qui s'occupait d'elle depuis qu'elle était petite.
Sans compter la médiocre opinion qu'elle avait d'elle-même, toujours à cause de cette enfance mouvementée. Tant qu'elle ne serait pas libérée de ce fardeau qu'elle dissimulait, elle ne changerait probablement pas.

La jeune femme, sensible aux questionnements de Laurence, respecta de son mieux les indications pour ne pas rater la préparation, posant de temps à autres quelques questions, ou émettant quelques objections sur le choix de tel ou tel composant. Elle continuait à se demander à quoi allait bien servir ladite préparation, tout en entrant, sortant, courant dans toute la maison pour pouvoir au final satisfaire sa curiosité.

- Qu'est-ce donc que ce produit que tu me fais préparer, Laurence? Demanda-t-elle finalement.

Laurentius profita qu'elle sortait chercher de l'alcool pour lui-même sortir de son bain et passer une serviette autour de sa taille. Il s'étira ensuite longuement, faisant jouer ses muscles endoloris pendant une bonne minute, puis lâcha un long et profond soupir. Il secouât la tête, envoyant de l'eau voler autour de lui, et ramasse sa dague, pour retirer le plus gros du baume qu'il a sur le visage.

Pendant que Miry terminait la mixture, il sourit, amusé de la voir si impatiente de savoir ce que c'était. Finalement, il répondit à ses attentes.

"Il s'agit d'une recette que j'ai obtenu auprès des filles de joies de Baie de l'Aube. Tu le sais peut-être, les femmes de là-bas ont, à cause du sel, du soleil et du vent, les cheveux blond pour la grande majorité d'entre elles. Tu commences à comprendre? Là bas, les cheveux noirs ou bruns, c'est exotiques, et donc de nombreuses filles se teignent les cheveux avec cette recette pour avoir les mêmes cheveux que celles d'ici."

Il hocha ensuite la tête, et reprit :

"Tu connais surement d'autre recettes pour se teindre les cheveux, mais celle-ci à un avantage majeurs, que les autres, beaucoup moins onéreuses, je te l'accorde, n'ont pas. En fait, elle a peur de l'eau."

Il sourit largement en disant cela, et attendit une seconde, avant de reprendre.

"En fait, elle se fixe à l'aide d'un mélange chauffé d'huile essentielle et d'alcool forte, et ne part pas à l'eau."

Il commence à se frictionner largement la tête avec une autre serviette, et continu de parler :

"Pour l'appliquer, il faut donc se mouiller les cheveux, et les sourcils évidemment, avec le mélange d'huile et d'alcool, et se mouiller la peau autour pour éviter de déborder. Après, on essuie longuement avec une serviette qu'on pourra jeter, pour éviter d'avoir une grosse pellicule de gras sur les cheveux, et le tour est jouer, tu es brune! Ah, et pour varié les teintes, tu te teindra les cheveux avec cette mixture puis je la diluerais avec un peu d'alcool pour que j'ai des cheveux un peu plus clair que les tiens."

Il souriait de toute ses dents à l'idée de la voir en brune.

- Ah, je vois ... On m'a déjà teint les cheveux par le passé. Mais je n'ai pas eu connaissance de la recette alors.

Elle étudia la mixture du regard, puis questionna à nouveau Laurence.

- Mais si la texture est résistante à l'eau, comment peut-on l'enlever si cela ne convient plus ? De plus, je suppose qu'elle pâlit au soleil au bout d'un moment. Non ?

Plus elle réfléchissait, moins elle parvenait à comprendre. Elle savait qu'il cherchait à la faire ressembler à une femme comme les autres, mais de là à se teindre les cheveux lui-même dans une couleur similaire ... Lui aussi devrait échapper aux assassins Ehn'Kilathiens, mais sa description n'était probablement pas aussi précise que celle de Miryäna. Fronçant légèrement les sourcils, elle releva les yeux vers Laurentius. Se perdre en conjectures ne servait à rien, et lui poser la question ne lui coûterait rien, de toute façon.

- Mais pourquoi rechercher à avoir les mêmes teintes, ou presque ? Qu'elles soient différentes ou identiques ne changera rien au fait que nous serons moins reconnaissables ?

Passer pour une idiote avec cette question ne la dérangeait pas, puisqu'elle lui permettrait de confirmer ou d'infirmer ses hypothèses.

Attendant une réponse, elle se prit à observer le torse de Laurentius, où l'on discernait les muscles bouger sous la peau, striée de cicatrices à certains endroits. Celle qu'il portait au côté lui rappela des souvenirs et elle se prit à sourire. Une image fugace vint faire jour dans son esprit, mais elle la chassa vivement, et détourna les yeux pour revenir au visage masculin de Laurence.

Laurentius regarda la teinture, et hocha la tête. Elle était prête, à n'en pas douter. Il répondit avec amusement à la première affirmation de la jeune femme :

"On t'a surement teint les cheveux avec une autre recette, celle-ci coute cher à cause du propolis, parce-qu'elle demande de l'oristrenum, qui ne se trouve qu'à la Baie de l'Aube, et pour finir n'est connu que là-bas."

Les questions arrivaient, la jeune femme commençant à réfléchir aux utilisations qu'ils pouvaient faire de cette mixture. Il prit un air calme et posé, et répondit à chacune d'entre elles avec patience et pédagogie :

"Le but de cette teinture est justement qu'on ne peut pas l'enlever. Ainsi, même s'il pleut, tu n'aura aucune trace discernable du fait que tu te soit teint les cheveux. De plus, vu le prix et la rareté de certain ingrédient, on ne l'applique pas à la légère. Et effectivement, elle pâlit au soleil, mais on peut toujours la raviver si besoin est en repassant une nouvelle couche de teinture. Et puis, le soleil n'atteint pas les rues de la Cité en ce moment... On sera tranquille pour encore trois ou quatre mois de ce côté là."

Elle réfléchissait, cela se voyait. Mais quelque chose semblait la gêner, l'empêcher de trouver la solution. Qu'à cela ne tienne, il le lui expliquerait, mais uniquement si elle le demandait. Ce n'était pas une assistée, et il détestait l'idée de donner la becquée à un oisillon de vingt ans! finalement, elle se décida, et il hocha la tête.

"On aurait put faire deux teintes complétements différentes, mais comme on est tous les deux blonds, cela limitait déjà le choix. Ensuite, les pigments acceptable pour cette teintures sont très rare, mis à part pour le brun, donc... On sera tous les deux bruns. Toutefois, le fait qu'elles soient légèrement différentes est très important."

Il se pencha légèrement vers elle, et dit, sur le ton de la confidence :

"Si un observateur nous regarde, et si nous avons exactement la même teinte, il pourra penser qu'on s'est teint les cheveux. Mais si nous avons des teintes nuancées, alors cette idée ne effleurera même pas. Et puis, comme cela, tu passera plus inaperçu, et moi, si quelqu'un me cherche, il cherchera surement un blond."

Il recula, posa les mains sur ses hanches, et lui fit un clin d'œil.

"Et puis, ça nous fera du bien de changer un peu de tête! Bon, plus qu'à préparer le mélange de fixation, et ce soir tu dinera avec un brun!"

- Je comprends bien ce que tu me dis. Mais il reste un souci. Les cheveux poussent. Et ils poussent avec leur couleur originelle. En aurons-nous assez pour pallier à cette éventualité ?

Car oui, on lui avait déjà teint les cheveux, pour la même raison : qu'elle passe inaperçue. La teinture était noire en ce temps là, mais lorsqu'ils étaient arrivés dans la Cité des Lumières, les cheveux de la petite fille avaient poussé, créant ainsi un étrange dégradé de blanc à noir. Il leur faudrait teindre les racines de leurs cheveux souvent pour ne pas que leur couleur paraisse non naturelle.

- Et je dois avouer qu'il me manque une certaine expérience de la dissimulation pour penser à des détails pareils, fit-elle avec un léger sourire en coin vers Laurence. J'ai encore des progrès à faire de ce côté.

Amusée, la jeune femme commença à rassembler les petits sachets de plantes pour ranger quelque peu la salle d'eau, transformée en atelier improvisé. Une fois cela fait, sans se relever, elle releva une nouvelle fois les yeux vers Laurentius.

- Hum, comment réalise-t-on cette mixture de fixation, alors ? J'ai hâte de te découvrir en brun ...

Elle laissa échapper un très léger rire, et attendit sagement la réponse à ses questions, levant son joli minois pour observer l'homme debout en face d'elle.

Elle commençait visiblement à bien s'amuser à réfléchir à la manière de se travestir. Elle commençait même à poser les questions que lui-même avait posé quand on l'avait formé à son travail. Il lui répondit donc de manière amusée :

"Il suffira d'en reposer uniquement sur les racines. De plus il y a une ruse pour éviter de montrer ses racines de cheveux à tout le monde : le chapeau! Demain, on ira faire les boutiques pour t'en trouver un. Moi, j'en ai déjà, quand on voyage c'est obligatoire", rajouta-t-il en hochant la tête.

Il rit de bon cœur quand elle avoua qu'elle manquait d'expérience dans l'art de se dissimuler, et lâcha :

"T'en fait pas, j'en ai largement assez pour nous deux!"

Et elle commença à faire le ménage. Il prit donc le temps de la regarder... Comme elle avait grandit depuis le jour où il l'avait prit à son service. Et elle avait bien grandit, c'était évident. Il fallait dire qu'elle n'avait pas eu a affronter la dure vie que les enfants des rues connaissaient.

Il haussa les épaules, et essaya de l'imaginer en brune. Il pensait que cela pourrait bien lui aller. Oui, c'était à essayer!

"Ah, bah pour la fixation, je t'ai dit : huile essentielle et alcool distillée, le tout à chauffer pour les mélanger, mais sans faire évaporer l'alcool. C'est assez long à prendre, tu es bonne pour mélanger pendant au moins vingt minutes hein. D'un autre côté, il faut attendre que mes cheveux soient impeccablement sec. Occupe toi de cela, je vais aller nous faire à boire en attendant, avec quelque chose que j'ai ramener de mon voyage."

Et donc, sans attendre, en serviette, en emportant juste ses chausses avec lui, il sort de la salle direction la cuisine. Il mit une casserole avec un peu d'eau et du lait sur le feu, et commença à émietter la pâte de cacao qu'il avait acheté à des producteurs près d'Aubaine. Il rajouta régulièrement du sucre, puis laissa le tout chauffer doucement.

Miryäna, après avoir rassemblé tout ce qui trainait ça et là, attrapa sa masse de cheveux et la tressa en plusieurs nattes. Ainsi, ses cheveux ne viendraient pas la déranger lors de la cuisson. Elle décida ensuite de quitter la pièce pour rejoindre Laurentius, car tous ses ustensiles se trouvaient dans la cuisine.

La jeune femme suivit donc l'odeur alléchante qui émanait de la cuisine, rapportant tout ce qui avait été abandonné dans la salle d'eau. Elle rangea tout d'abord les plantes qui ne lui serviraient plus, puis prépara la mixture dont Laurence lui avait indiqué la recette. Elle le rejoignit ensuite pour mettre son récipient au dessus du feu, une cuillère en bois à la main.

Humant une nouvelle fois la boisson mystère, un sourire ravi apparut sur ses lèvres alors qu'elle commençait à touiller le fixatif. Cela promettait d'être délicieux si le goût correspondait à l'odeur qu'elle pouvait apprécier.
Profitant que Laurence soit à côté d'elle, elle le questionna sur la suite des opérations.

- Et donc, comment procédons-nous ? Lorsque j'aurai fini de réaliser le fixatif, nous nous teindrons les cheveux je suppose ? Pourras-tu commencer par me le faire ? Ainsi je saurai comment te rendre la pareille. Et un foulard ne suffirait-il pas, en lieu et place d'un chapeau ?

S'arrêtant pour respirer, elle se mit à rire.

- Pardon, je t'abreuve de questions.

Si elle était mal à l'aise, elle faisait son possible pour ne rien montrer. De plus, sans se l'avouer, ce projet de se teindre les cheveux la rassurait. Son père avait déjà dû procéder ainsi lors de leur fuite, et elle avait pu constater les résultats probants d'elle-même. Cette fois, elle ne pourrait pas se travestir en homme ; son corps avait trop changé, et même sa voix aurait parue trop fluette.

Tout en réfléchissant, elle touillait la mixture régulièrement. Elle fit des allers-retours entre Laurence et sa casserole lorsqu'il reprit la parole, pour ne pas risquer de gâcher sa préparation.