Lorsque le soleil rougeoie ... [Laurentius Lamberski]

Laurentius avait enfilé ses chausses, et se tenait devant son odorante préparation, qu'il touillait d'un air tranquille. Il regarda Miry entrer et tout ranger, puis elle vint s'asseoir près de lui. Il la reluqua un instant, avant de se détourner. Dans cette tenue, il ne serait pas très sage d'avoir des pensées déplacées.

Lorsque l'avalanche de question commença à pleuvoir, il ne put s'empêcher de sourire. Au moins il avait atteint un de ses objectifs avec l'idée de faire des choses comme se teindre les cheveux : Miry ne semblait plus du tout soucieuse, bien au contraire. Lorsqu'elle rit, il ne put se retenir, et lâcha :

"Et bien, cela faisait une éternité que je ne t'avais pas entendu rire!"

Il la laissa se calmer, et répondit seulement alors à ses questions :

"Évidemment, je te teindrais les cheveux, ce n'est jamais facile tout seul. Et il ne faudrait pas que tu gâche la teinture, au prix qu'elle coute! Et pour ce qui est du foulard, pas de problème, tu fera comme tu le souhaitera. Par contre, faudra te déshabiller pour que je teigne tes cheveux, au moins le haut, sinon, s'ils sont tachés, tes vêtements seront fichus.

Il sortit la louche de la casserole, laissa refroidir son contenu, souffla même un peu dessus, puis gouta en trempant un doigt dedans, et hocha la tête. Le goût était assez doux et sucré, avec toutefois une petite pointe d'amertume, due au cacao. Il tendit le reste de la louche à la jeune femme, et la porta vers ses lèvres directement. Elle s'occupait du fixateur, elle ne pouvait pas tout faire.

"Je ne sais pas si tu a déjà gouté à cela? Ça vient d'Aubaine, et on en trouve que là-bas. Ça a plutôt bon goût, même si je trouve ça encore un peu trop amer.

"Et bien, cela faisait une éternité que je ne t'avais pas entendu rire!"

Le sourire de la jeune femme devint légèrement honteux. Elle failli se refermer de nouveau sur elle-même comme une huitre. Mais elle se força à reprendre rapidement une contenance, car Laurentius n'avait sûrement pas fait cette remarque pour qu'elle redevienne soucieuse. Il était soulagé de la voir rire, elle le sentait. Heureux aussi. Et s'il l'était, elle l'était aussi. Elle lui servit un de ces sourires qui la faisait comme rayonner de l'intérieur, et dit doucement :

- Oui, c'est vrai. Ca t'a manqué ? Ajouta-t-elle, joueuse.

Mais il commençait à répondre à ses questions au même moment, aussi elle se tut pour écouter ses paroles. Lorsqu'il évoqua le fait de salir ses vêtements, Miryäna ne put s'empêcher de jeter un oeil à la robe bleu nuit qu'elle portait. Même si son corsage laissait nues ses épaules, il serait préférable de ne pas l'abimer.

- Ah, bien, dit-elle en continuant à touiller. J'irai me changer alors.

Elle hésita un instant, pensive.

- Et si nous utilisions un vieux morceau de tissu ou de vêtement pour nous protéger des taches ? Fit-elle pensivement. Enfin bref, après tout ça je préparerai le dîner.

Elle sursauta presque lorsque la louche apparut devant ses yeux, tant elle s'était perdue dans des pensées centrées sur l'assaisonnement et l'inventaire de ce qu'ils possédaient pour manger. Le visage souriant de Laurence la ramena à la raison tout en la rassurant une fois de plus. Elle ne risquait rien ici.
Avec un sourire, elle se pencha légèrement, abandonnant pendant un instant de mélanger la mixture, et goûta du bout des lèvres.

Se léchant les lèvres, elle eut un étrange sourire, à mi chemin entre la mélancolie et la joie. Ses yeux pétillèrent un instant et elle parut réfléchir.

- Ah, si ! Cela me revient, on m'en a déjà fait goûter, un jour. Mais quand, je ne sais plus. J'avais oublié ce goût si singulier. Peut-être qu'avec un peu de sucre ...

Soudain, se forçant à détourner son regard de celui de Laurence, elle remarqua qu'elle avait arrêté de touiller. Rougissant légèrement de son étourderie, elle se remit vivement à touiller, baissant les yeux pour tenter de cacher son trouble.

Laurentius hocha la tête lorsqu'elle parla d'utiliser un vêtement pour se protéger. C'était en effet une bonne idée. Puis elle gouta au chocolat, et en oublia carrément de continuer à mélanger le fixateur. Ils se regardèrent un long instant, puis elle détourna le regard, les joues rosissantes.

L'innocence personnifiée, voilà ce qu'elle était en cet instant. Une jeune femme redevenue enfant devant des souvenirs qui n'appartenaient qu'à elle. Il la regarda encore un instant, puis elle se détourna vers la casserole, pour mélanger la mixture. Effectivement, il ne fallait pas la laisser s'abimer, ou elle serait bonne pour tout recommencer.

Elle était belle en cet instant, la lumière des flammes se reflétant sur sa chevelure argentée et sa peau d'albâtre, que seul deux touches de roses sur les joues venaient rehausser. Il se détourna enfin, et se rendit compte qu'il ne lui avait pas répondu, ce qu'il fit d'une voix légère.

"Avec trop de sucre, on ne sentirait plus le goût doux-amer du chocolat. A Aubaine, on dit qu'il permet de raviver les souvenirs, de rappeler à toute personne qui en mange que sa vie est faites de bonnes et de mauvaises choses, et que c'est grâce à cette légère amertume que la vie à ce gout si particulier."

Il soupira, puis reposa la louche dans la casserole, et continua de remuer tranquillement, laissant le silence s'installer peu à peu. Là, au calme, dans ces acte anodin de mélanger du chocolat en discutant avec la femme qui partageait sa vie malgré tout, il se sentait. Oh ce n'était pas de l'euphorie, mais toute la pression du voyage, et se sa mission, commençait enfin à s'en aller.

Oui, il était bien.

Lorsque Laurentius lui demanda de sortir le fixatif du feu, Miryäna s'exécuta et mis la casserole sur un support pour ne pas brûler la table en la posant. Elle rejeta ses cheveux tressés dans son dos, les joues rosies par la chaleur du feu.

Elle se sentait tranquille, en cet instant. Peut-être était-ce dû au fait que Laurence semblait serein et heureux, et qu'elle réagissait en écho à ce sentiment si apaisant. A vrai dire, elle l'ignorait. Savoir différencier ses propres émotions de celles qu'elle percevait n'avait pas été simple. A présent, elle y arrivait, mais il lui restait toujours un certain doute.

Se retournant vers lui, elle lui demanda comment il faudrait procéder pour mélanger ce qu'elle venait de réaliser au mélange précédent.

- Peut-être devrais-je te laisser faire et aller voir si nous avons un vieux morceau de tissus à utiliser ?

Les yeux posés sur lui, qui avait l'air si calme en cet instant, elle sentit une bouffée de quelque chose qui ressemblait à de la tendresse lui réchauffer le coeur. Il venait de rentrer, était exténué, et il se démenait pour lui changer les idées, la rassurer. Elle lui sourit pour le remercier, car cela aurait dû être le contraire. Oui, elle pouvait devenir celle qui le protégerait entre ces murs, et qui lui ferait oublier ses tracas du moment. Car lui plus que tout autre en avait besoin.

Le moment passa, lentement, puis il revint à la réalité et au présent. Il hocha de nouveau la tête, mais son esprit était un peu embrumé. Était-ce la fatigue qui commençait à le rudoyer? Surement.

Il regarda de nouveau la mixture, fit la moue, puis hocha finalement la tête.

"Oui, elle est prête. Va nous chercher des linges qu'on pourra jeter ensuite, et une grosse bassine vide. La marche à suivre est simple, on étale ce produit sur nos cheveux, et à l'inverse, on mouille avec de l'eau la peau, pour empêcher la teinture d'y adhérer. Ensuite, on applique la teinture sur les cheveux, et elle s'accrochera. Après quinze minutes, on frotte et on les peignes, et le tour est joué."

Il pose la casserole de chocolat sur le plan de travail, et lui fit signe d'y aller. Pendant ce temps-là, il se mit en quête d'un morceau de pain et d'un peu de fromage, qu'il entama ensuite sans attendre. La faim commençait elle aussi à se faire sentir.

Une fois son estomac calmé, il alla se passer un coup d'eau sur le visage en vitesse, puis revint dans la cuisine après avoir déposé sa serviette sèche dans la salle d'eau. Il ne voulait pas l'avouer, mais il lui tardait d'aller rejoindre son lit. On pouvait dire que la journée avait été éprouvante, tant physiquement que mentalement. Chevaucher sur ses gardes toutes la journée, ne faisant de pause que pour soulager sa monture n'était vraiment pas une partie de plaisir.

Pour se donner du baume au cœur, se disant qu'il n'était au final pas prêt de se coucher, il mit un peu de chocolat dans un verre, et le mangea avec le reste d'une miche de pain, attendant que la jeune femme revienne avec de quoi faire la teinture. Et après la teinture, il fallait laisser sécher. Mais après ça, il pourrait s'effondrer dans son lit pour une bonne nuit de sommeil. Oh oui! Rien que cette idée le rasséréna, et c'est un sourire sur les lèvres qu'il accueilli Miry.

Alors qu'elle était à la recherche d'une bassine et de quelque chose pour protéger leurs vêtements, la jeune femme s'arrêta net. Elle semblait être toute à l'écoute de quelque chose de précis, quand bien même la maison était silencieuse. Elle sentit la faim, puis la fatigue, et esquissa un sourire. Oui, Laurentius aurait du mal à tenir jusqu'au moment du coucher. Peut-être pourrait-elle abréger ses souffrances un peu plus tard.

Elle dénicha bientôt un vieux drap qui avait été taché quelques années auparavant. S'il n'était pas sale, il restait tout de même des traces du sang qui l'avait imprégné, et Miryäna l'avait dissimulé au fond de son armoire en espérant qu'il serve un jour. Elle eut un sourire ravi lorsqu'elle le déplia. Oui, il serait assez grand pour les couvrir et les protéger des "effets néfastes" de la teinture.

Elle se rendit ensuite dans le débarras, et trouva, après quelques pérégrinations dans la pièce, une vielle bassine en cuivre encore en état de servir. Elle chargea le drap à l'intérieur, et fit un détour par la réserve pour y prendre un morceau de poulet qu'elle avait laissé dans la salière. Elle l'avait mis là la veille, et l'avait à peine entamé. Mais elle s'arrêta net en sentant que la faim avait disparu. Qu'importe, elle se contenterai de grignoter un bout de fromage avec un peu de pain, et peut-être un fruit. Elle referma donc la salière correctement, attrapa une pomme, la remit dans l'étagère, indécise. Puis elle retourna enfin à la cuisine.

Elle lâcha plus qu'elle ne déposa son chargement sur la table, donna la bassine à Laurentius après lui avoir donné un coup de chiffon humide pour la nettoyer, et entreprit de se préparer une collation. Pendant qu'elle s'affairait, elle dit doucement :

- Ah, j'ai pensé que nous ne serions pas au lit avant un bon moment si nous devions laisser sécher nos cheveux. Ne serait-ce pas possible de nous protéger les cheveux avec les restes de ce drap ? Ainsi il n'y aurait de taches que sur ce drap déjà abîmé.

Elle attendit en continuant à préparer son "dîner", se découpant une tranche de pain et une tranche de fromage.

Laurentius était assis à la table, lorsqu'il vit arriver la jeune femme chargée comme un mulet. Il allait pour se lever pour la débarrasser, quand elle posa le tout sans délicatesse sur la table. Il hocha la tête, et la laissa nettoyer la bassine, puis la prit lorsqu'elle la lui tendit.

Maintenant, il fallait agir étape par étape. Tout d'abord, il versa tout le fixateur dans la bassine, et la remit un instant sur le feu, pendant qu'elle se coupait un morceau de pain et de fromage. Elle ne semblait pas avoir très faim, mais il fallait bien avouer qu'elle n'avait pas passer sa journée à chevaucher. Et puis, le pain et le fromage étaient très efficace pour couper l'appétit.

Miryäna lui avait parler pendant ce temps-là, mais il n'avait pas répondu. Toutefois, à la fin de la deuxième remarque, il dénia du chef, et se redressant de la bassine, il dit :

"Hélas, il faut rincer les cheveux pour retirer le surplus de produit, et les peigner pour empêcher les cheveux de coller entre eux. Et je crois que je n'apprécierais pas le réveil d'un seau d'eau", rajouta-t-il d'un air malicieux.

Lorsqu'il eu terminé avec la bassine, il prit le drap, et l'étendit entre ses deux bras écartés.

"Allez jeune fille, retire ton haut et vient te mettre ça sur les épaules."

Sa voix était un rien autoritaire, mais c'était uniquement sur le coup de la fatigue. Sa réaction le prouvait, puisqu'il détourna le regard, pour laisser à la jeune femme un peu d'intimité tout de même.

Miryäna avala une bouchée de ce qui serait son repas pour ce soir et écouta les explications de Laurence en croquant une deuxième bouchée. Elle comprit avec une pointe de déception qu'il ne lui serait pas possible d'abréger les "souffrances" de son ami pour ce soir. Qu'importe, elle trouverait bien un moyen de le laisser se reposer tout en laissant sécher ses cheveux.

Alors qu'il s'affairait encore sur la bassine, Miryäna eut un éclair de conscience et disparut sans faire de bruit. Elle fila dans sa chambre chercher son peigne en corne, qui serait parfait pour démêler leurs chevelures teintes. Elle le contempla un instant à la lueur de la lune qui filtrait par la fenêtre, puis revint rapidement dans la cuisine. Laurence ne s'était apparemment aperçu de rien, trop concentré sur sa préparation.
Un gargouillis bruyant lui rappela à quel point elle avait faim, et c'est en rosissant qu'elle croqua de nouveau dans sa tartine de fromage. Elle ne dirait pas à Laurence qu'elle s'était restreinte le midi même pour pouvoir lui faire un festin. Elle termina rapidement son repas, et avala la dernière bouchée alors que Laurentius se relevait de la bassine, ayant apparemment terminé.

Lorsque le drap s'étendit, et que la voix de Laurence émergea depuis l'autre côté, la jeune femme avala un fond d'eau puis apporta le peigne à portée tout en disant doucement :

- J'arrive, Laurence.

Elle s'approcha du drap, et entreprit de dénouer le corsage de sa robe. Légèrement rougissante, la jeune femme ôta sa robe, qui glissa jusqu'à terre en émettant un frottement sans équivoque. Il ne lui restait maintenant qu'une longue tunique, dont elle ôta les bretelles et descendit légèrement le haut avant de s'enrouler dans le drap et de s'assoir sur la chaise toute proche.

- Voilà, c'est bon, fit Miry d'une petite voix.

Le bruit des liens qu'on dessert, le frottement d'une robe tombant à terre. Bien qu'il ne la regardait pas, il ne pouvait s'empêcher d'entendre. En un sens, c'était encore plus aguichant que de la voir se dénuder. Et puis il entendit sa voix, une petite voix, qui dévoilait bien des choses.

Elle lui sembla timide, ou mal à l'aise, ou bien encore était-ce un mélange bien plus complexe d'émotion qui voulait dire qu'elle ressentait tout autant que lui le trouble de Laurence. Lui était en chausses, son pantalon simplement tenu par une ceinture ample. Elle était en tunique, enroulée dans un simple drap.

Il la désira pendant un instant, puis hocha la tête, et la regarda enfin, toute trace de son trouble repoussé loin en lui. Il sourit, elle était magnifique, avec ses joues légèrement rosées par la gène, ou par autre chose.

"Bon, et bien, allons-y, dit-il en allant prendre la bassine et en la posant au sol derrière la chaise."

Il prit une mèche de cheveux, et délicatement, appliqua le mélange tiède dessus. Il prenait son temps, appréciant la proximité de la jeune femme. Elle se tenait là, assise, dos à lui, vulnérable, sans défense, et il voulait la protéger. Chaque mèche lui prenait une bonne minute à être préparé : il devait passer le mélange dessus, puis la frictionner pour qu'il touche chaque cheveux, et enfin il la relissait, pour la passer en avant, évitant de la lui mettre dans le visage.

Il ne disait rien, mais appréciait cette scène, certes du quotidien du quotidien, mais bien intime pour les deux personnes. S'il avait dut définir ce qu'était le bonheur, il aurait surement mit ces quelques instant comme première étape vers ce but.

Miryäna retint de justesse une exclamation de surprise lorsqu'elle sentit le désir s'emparer un instant de Laurentius. Si près de lui, elle ne pouvait faire autrement que le ressentir de même, comme en écho. La sensation était apparue graduellement, à mesure que la robe descendait le long de son corps.
Ses joues devinrent brûlantes, et une étrange sensation se fit jour en elle. Elle fit un effort considérable pour se calmer et se couper du monde extérieur. Mais juste au moment où elle allait y parvenir, la sensation se calma doucement pour se fondre dans le reste. Elle sentit simplement le regard de Laurence posé sur elle, et lui rendit un regard et un sourire en coin.

"Bon, et bien, allons-y."

Elle l'entendit tirer la bassine à lui. Elle se repositionna sur la chaise, s'allongeant légèrement, et baissa légèrement la tête pour faciliter le travail à Laurence. Ses yeux se fermèrent un instant lorsqu'il passa les doigts dans ses cheveux alors qu'elle réprimait un frisson.
La jeune femme se laissa aller à éprouver cette même sérénité teintée de cette tendresse que créée la proximité à long terme, celle que Laurentius semblait éprouver, et profita de ce moment privilégié. Elle se focalisa sur les mouvements des mains de Laurence, qui manipulaient ses cheveux avec douceur et précaution, puis qui frôlaient presque sa joue en repoussant les mèches enduites de produit.

Un doux sourire s'épanouit sur les lèvres fines, et la jeune femme ferma les yeux. Lorsque le bonheur semble être là, il faut le vivre pleinement ...

Lentement, Laurentius appliquait la mixture sur chacune des mèches de cheveux. Il le faisait avec une douceur et une patience infinie. Après dix minutes, il dit, d'une voix légère, approchant légèrement la bouche de l'oreille de la jeune femme pour ne pas rompre le charme :

"J'ai bientôt fini, encore un peu de patience."

Laissant son souffle effleurer un instant l'oreille de Miry, il ne dit mot, puis se recula, pour continuer. Après quelques minutes de plus, il se redressa, et hocha la tête. Laurence prit alors la casserole contenant la teinture, et reprit son manège, tout aussi lentement, faisant bien attention de ne pas en perdre une goutte. Cela tirait parfois un peu, mais dès que cela lui arrivait, il s'arrêtait, et murmurait un mot d'excuse, avant de reprendre en faisant plus attention.

Le temps passait, lentement, mais surement, alors que le jeune homme semblait de plus en plus apprécier de s'occuper d'elle. Cela le détendait, mais aussi, il trouvait simplement un grand plaisir à être si proche de cette femme. A vrai dire, il pensait qu'ils ne l'avaient jamais autant été.

Et avec elle au moins, il pouvait être tranquille. Il était persuadé que jamais elle ne lui ferait le moindre mal. Avec elle, il pouvait être lui-même, sans pour autant devoir aussi surveillé ses gestes.

La chevelure de Miry avait pour le moment une teinte noire, mais il ne pipa mot. Il ne bougea pas, laissant ses mains vagabonder un instant dans ses cheveux, avant de les posées sur ses épaules, sur le drap. Il resta ainsi un instant, avant de finalement les retirer, et de dire :

"Voilà. Ne t'inquiète pas pour la couleur, cela va s'éclaircir. Tu as compris comment on fait?"

"J'ai bientôt fini, encore un peu de patience."

Miryäna frissonna lorsque le souffle de Laurence vint lui chatouiller la peau du cou. Elle se contint de peu, et continua à profiter de ce moment d'intimité avec lui. De plus, se faire bichonner ainsi était un vrai régal, et détendait d'une façon qu'elle n'aurait pas imaginée. Il était doux, patient, attentif. Tendre, aussi.

Elle ne dit mot jusqu'à ce qu'il lui annonce que c'était terminé. Les mains du jeune homme, qui réchauffaient agréablement ses épaules s'enlevèrent. Elle rouvrit les yeux presque à contrecœur.

"Voilà. Ne t'inquiète pas pour la couleur, cela va s'éclaircir. Tu as compris comment on fait?"

En effet, ses cheveux étaient noirs. Presque autant que ceux de son père en fait. Elle prit une mèche entre ses doigts tout en se redressant et en disant doucement :

- Oui, j'ai compris. Ce n'est pas très compliqué.

A ces mots, elle se retourna vers lui et lui fit un doux sourire. Ses cheveux à présent noirs et raides à cause de la teinture lui encadraient le visage d'une façon assez singulière. Ses yeux semblaient ressortir d'autant plus que le contraste entre les cheveux noirs et la peau laiteuse les mettaient en valeur.

Elle attrapa sa robe au sol, et se leva, toujours enveloppée dans le drap comme si c'était une cape. Elle récupéra sa robe en se penchant légèrement, puis passa derrière Laurentius et lui indiqua la chaise d'un sourire.

- A ton tour à présent. Une fois que tu seras en place, je lèverai de nouveau le drap si tu veux un peu d'intimité. Tu vas voir, c'est agréable.

Avec un doux sourire, qu'on aurait pu dire plein d'invite en d'autres circonstances, elle attendit qu'il s'installe.

Elle le regarda un instant après s'être levée, et le sourire sur son visage était celui d'un ange. Les cheveux noirs, collés entre eux tombaient de chaque côté de ses yeux, et il ne vis qu'eux. Ils étaient d'un bleu si lumineux en contraste avec sa chevelure, qu'ils avaient l'air presque irréels.

Puis elle bougea, et il reprit ses esprits. Elle se baissa pour ramasser sa robe, et il ne put s'empêcher d'admirer sa silhouette, bien que masquée par le drap. S'il avait eu encore quelques doutes sur le fait qu'elle était maintenant une femme, ils s'en allèrent tous à ce moment-là.

Puis elle l'invita à s'asseoir, ce qu'il fit. Il n'avait pas besoin de se déshabiller, n'ayant que son pantalon sur lui, mais sourit néanmoins lorsqu'elle parla de lui tenir le drap. Il n'avait rien a caché au dessus de la ceinture, et d'ailleurs, il ne lui cachait déjà rien à ce niveau là. Mais cette petite phrase indiquait qu'elle avait noté l'attention qu'il avait eu en détournant son regard d'elle lorsqu'elle avait retiré sa robe.

Puis il se rapella un détail, qu'il avait failli oublier. Ses pensées marchaient au ralenti, et ce n'était pas uniquement dut à la fatigue. Il lui dit doucement :

"Il faut couper la teinture avec un peu d'huile avant de me l'appliquer, qu'on ai une teinte différente. Tu veux que je le fasse?, demanda-t-il, en pensant qu'elle était encore emmitouflé dans le drap.

Il se retourna vers elle, l'interrogeant du regard.

Lorsque Laurentius se retourna, Miryäna referma le plus discrètement possible les pans du drap qui avait laissé apparaitre le haut de sa tunique et la naissance de sa poitrine. Ses joues rosirent de plus belle, mais elle parvint à sourire sans gêne en répondant.

- Cela serait peut-être plus sage que ce soit toi qui t'en charges, je pense. Je ne voudrais pas gâcher la teinture restante ...

Elle fit une pause, soutenant courageusement le regard de Laurence. Puis continua.

- Et comme cela, s'il faut encore préparer quelque chose, je pourrai m'en charger en attendant que tu aies fini.

Sa robe sur un bras, son autre main tenant le drap fermé, elle attendit "sagement" une réponse. Ses yeux s'étaient posés sur la cicatrice qu'il portait dans le dos. Cette nouvelle cicatrice qu'elle ne lui avait encore jamais vu. Elle se retint de pincer les lèvres. Ce n'était pas comme si elle ignorait les dangers du métier de Laurence. Ses pensées dérivèrent alors et elle se retrouva à observer une nouvelle fois les muscles du jeune homme jouer sous sa peau à mesure qu'il se tendait ou se détendait.

Lorsqu'elle releva les yeux vers le visage de Laurentius, la jeune femme n'était plus sûre d'être encore éveillée. Le moment était particulièrement agréable, et quasiment surréel. Il était apparu quelque chose qui n'avait jamais été là avant. Une sorte de lien, différent, mais tout aussi fort. Elle ne savait pas si elle rêvait cet instant ou s'il était vraiment réel. Mais elle était sûre d'un chose ... Si c'était vraiment un rêve, elle ne voulait pas se réveiller.

Laurentius s'était retourné un peu vite, et la jeune femme referma le drap autour d'elle, mais il eu le temps de voir sa tunique, et la courbe de sa poitrine. Il n'aurait pas dut la voir, et pourtant, il aurait adoré pouvoir l'admirer bien plus longtemps. Puis il remonta sur son regard, et fut étonné de la voir rougissante. Ce que ses joues disaient, son sourire le niait. Elle semblait être gênée, sans réellement l'être, comme si elle appréciait le regard de Laurence sur elle, mais qu'une petite part d'elle-même lui murmurait que ce n'était pas correct.

Finalement, il hocha la tête lorsqu'elle parla, mais ne perdit pas son regard pour autant. Il répondit de sa voix calme et douce :

"Oui, je vais le faire."

Il allait rajouter qu'il lui aurait fallu un deuxième drap pour se protéger lui, mais il ne dit rien, ne souhaitant à aucun prix interrompre la magie qui s'opérait dans la pièce. Il alla donc vers le bol contenant la teinture, et rajouta un filet d'huile essentielle, avant de mélanger pendant deux minutes. Il était dos à elle, et pourtant, il pouvait sentir sur lui son regard.

Était-ce sa cicatrice qui l'intriguait, ou plutôt ce genre de regard qu'une femme jète sur un homme, comme pour admirer ce que le temps et l'entrainement avaient forgé, il n'en savait rien.

Il se retourna une fois son travail terminé, et lui apporta le bol. S'arrêtant devant elle, il posa le bol sur la table, et d'une main, repousse une des mèches noires de la jeune femme derrière son oreille. Plus dans un souffle que dans une parole, il dit :

"Cela te va bien, tu es ravissante."

Il fit un gros effort, et se détourna d'elle, pour s'asseoir sur la chaise, dos à elle, autant pour cacher ses yeux que pour ne pas étouffer la jeune femme. Il avait l'impression qu'elle était comme un oiseau. S'il la serrait trop fort, ou allait trop vite, elle s'envolerait, ou mourrait.

Alors que Laurence s'occupait de diluer le mélange, elle ne détacha effectivement pas ses yeux de son dos, toujours plongées dans des pensées tantôt sombres, tantôt rêveuses, tantôt agréables. Elle déposa sa robe sur le petit meuble qui se trouvait à côté de la cheminée, et se mit à jouer avec une mèche de ses longs cheveux, les yeux tournés dans la direction de Laurence sans être focalisés sur quelque chose en particulier.

Lorsqu'elle perçut qu'il avait fini, et le vit s'avancer vers elle, elle revint au moment présent, et releva les yeux vers lui, sa mèche de cheveux toujours entre ses doigts. Elle suivit le bol des yeux, curieuse de voir si la couleur ou la texture de la teinture avait changé ; sa main lâcha la mèche et se posa sur le rebord de la table. Elle vit à peine la main de Laurence s'approcher de son visage, et faillit sursauter lorsqu'elle le sentit prendre une mèche de ses cheveux.
Ses yeux bleus dardés sur le visage souriant du jeune homme, elle fit taire la peur qui avait failli naitre en elle et se contenta de lui rendre un regard interrogatif.

"Cela te va bien, tu es ravissante." Souffla-t-il.

Et il se détourna presque aussitôt, laissant Miryäna figée pendant quelques instants. Ayant l'esprit un peu embrouillé, il lui fallut quelques secondes pour qu'elle se rappelle qu'elle aurait besoin du bol, et aussi que Laurence avait besoin d'une protection. Déjà débarrassée de sa robe, elle enleva également le drap et et le plaça sur les épaules de Laurentius tout en le refermant bien.
D'une douce pression de ses paumes sur les tempes du jeune homme, elle lui fit légèrement baisser la tête en arrière, et passa ses doigts fin dans la chevelure dorée pour démêler sommairement les cheveux. Elle alla ensuite prendre le bol, et commença à appliquer la teinture avec autant de soin qu'il l'avait fait auparavant. Si elle faisait mal, un "pardon" murmuré passait ses lèvres, et elle reprenait. Contente de pouvoir lui rendre la pareille, elle fit de son mieux pour qu'il puisse se détendre autant qu'elle avait pu le faire.

Elle vit le jeune homme se détendre petit à petit, et elle pensa avec un sourire qu'il risquait de s'endormir. Estimant que ça n'était pas bien grave, elle reprit une mèche. Toute en douceur et en doigté, elle oeuvra consciencieusement pour que le rêve ne se brise pas par sa faute.

Il était assis tranquillement, Miryäna lui massant doucement les cheveux tout en appliquant le fixateur puis la teinture. La tête penchée en arrière, il ferma les yeux, écoutant les battements de son cœur. Que n'aurait-il pas donné pour entendre ceux de la jeune femme?

Elle lui avait mit le drap sur les épaules, cela voulant dire qu'elle n'était qu'en tunique. S'il n'avait pas eu à ne pas bouger, il l'aurait regarder à la dérobée, ça il en était persuadé. Il l'imagina donc, en simple tunique, les cheveux noirs, en train de le coiffer et de lui teindre les cheveux. Un doux sourire s'imprima sur son visage. L'image était intéressante à n'en pas douter.

Il sentit la fatigue l'envahir, et se mit à somnoler plus ou moins. La présence rassurante et tendre de Miry auprès de lui ne l'aidait pas à se tenir éveillé, d'autant plus qu'il devait se forcer à fermer les yeux pour ne pas chercher à la regarder.

Ses pensées se mirent à vagabonder. Il se rappela la première fois qu'il l'avait vu, un vrai garçon manqué à cette époque. Puis lui revint les moments marquant de leur relations : la première fois qu'il lui avait montré son rouage, la fois où il l'avait emmener voir sa chambre, et les yeux éberlué de la petite enfant qu'elle était alors devant cette pièce rien que pour elle. Il se remémora aussi son premier départ, laissant derrière lui une jeune fille qui ne semblait pas prête à affronter la solitude.

Et la voilà devenue femme, plus vite qu'il ne l'aurait cru. Il fallait bien avouer que ces dernières années, il était parti plus longtemps et plus souvent qu'avant. A chaque fois qu'il revenait, elle avait un peu changé. Chaque fois un peu plus attirante. Et puis, cette fois-ci, elle était vraiment douce avec lui. Il avait la sensation qu'au fond d'eux régnait une complicité qu'ils ne partageraient avec personne d'autre durant leur vie.


Ses pensées continuait de vagabonder, vers les formes de la jeune femme cette fois-ci. Elle était attirante, mais d'une façon qui lui était propre. Elle n'était ni comme ces filles de joies qui mettaient leurs atouts en valeur, ni comme ces femmes de la noblesse qui vivaient pour plaire. Non, elle elle était simplement belle et attirante, sans chercher à l'être.

La tête de Laurence dodelina légèrement, à nouveau. Un sourire attendri naquit encore une fois sur les lèvres fines de la jeune femme. Elle termina la mèche qu'elle tenait entre ses doigts, puis se pencha vers le jeune homme. Sa respiration était profonde, ses yeux clos ; il semblait serein. Laissant une main dans sa chevelure, elle lui effleura la joue du dos de l'autre, pour ne pas lui mettre de teinture sur la peau.

- Ne t'endors pas, lui murmura-t-elle à l'oreille, pour ne pas le réveiller brutalement.

Elle le regarda ouvrir les yeux presque soudainement, et lui rendit son regard avec un petit rire amusé avant de se relever.

- Tu dois encore m'expliquer pour la suite, ajouta-t-elle à voix basse.

Elle reprit son travail, teintant les dernières mèches de cheveux qui restaient blondes. Sans vraiment s'en rendre compte, elle retomba dans sa concentration devenue presque automatique, et se mit à fredonner doucement, pour tromper le silence.

Elle était bien, entre ses mains. Elle était bien en s'occupant de lui. Devoir penser à quelqu'un d'autre qu'à soi, avoir à anticiper les désirs d'une personne chère pour pouvoir lui faire plaisir, cela évite de trop se regarder soi-même ... et de devenir orgueilleux, vaniteux, ou même fou. Avoir quelqu'un à ses côtés avait toujours rassuré Miryäna, que ce soit pour parler, apprendre, se détendre, ou juste pour profiter de la présence de l'autre. Lorsqu'elle se retrouvait seule, ses peurs reprenaient le dessus, et elle devenait nerveuse, peureuse, instable.

De plus, elle se sentait en confiance avec Laurentius. Depuis qu'elle était enfant, elle était à ses côtés. Il savait qui elle était vraiment, mis à part son don, et elle l'appréciait réellement. Elle s'arrêta quelques secondes pour remettre de la teinture dans ses mains, et croisa le regard endormi du jeune homme. Un radieux sourire vint éclairer son visage. Oui, elle avait de la chance d'être là.

Laurence n'était pas loin de s'endormir, lorsqu'une petite voix, ou plutôt un murmure, le tira des limbes du sommeil. Il rouvrit les yeux, et vit la bouche, et les yeux de la jeunes femmes à quelques pouces des siens. Il n'aurait eu qu'a tendre le cou pour l'embrasser, mais n'en fit rien. Il n'était pas sûr de sa réaction, et ne voulait pas lui voler un baiser.

Elle rit un instant, et il lui sourit. Oui, il aurait bien aimé l'embrasser, mais il pensait que cela serait encore meilleur si c'était elle qui l'embrassait. Il répondit lui aussi à voix basse :

"Oui, je t'expliquerais. Ne me laisse pas m'endormir surtout."

Il décida de rester les yeux ouvert, comme ça, il ne sombrerait pas dans un sommeil que seul son corps souhaitait. Lui, il aurait préféré s'endormir auprès de Miry, ou dans ses bras, se sentir totalement en sécurité, parce-que pour une fois, quelqu'un veillait sur lui.

Laurence la fixait, plus ou moins, bien que sa tête suivait ses mains sans réelle résistance. Elle commença à fredonner, et après un instant, il se mit à fredonner en cœur. C'était loin d'être dans le rythme, mais il fallait bien dire que sa gorge endormie ne produisait pas vraiment le son désiré. Toutefois, il s'agissait bien du même air que celui fredonner par la jeune femme.

Il suivait son regard des yeux, se perdant à moitié dans le fond bleu de ceux-ci. Il ne voyait que ses yeux, mais à la myriade argentée qu'il y voyait, il savait qu'elle souriait. Il pouvait la sentir heureuse, comme si elle était contente que pour une fois, c'était elle qui faisait tout pour Laurence, qu'elle s'occupait de lui, bref, qu'en un mot comme en cent, qu'elle se sentait amoureuse. Ce n'était peut-être que son imagination qui lui jouait des tours, mais il adorait l'idée.

Lorsque la voix grave de Laurence vint rejoindre celle, cristalline, de Miryäna, elle retint un sourire pour ne pas briser la mélodie. Cette chanson, c'était le jeune homme qui la lui avait fredonnée un des premiers soirs qu'elle avait passé dans cette demeure qui avait fini par devenir la sienne.

Elle se rappelait encore de ce rêve, qui revenait régulièrement. Deux yeux la fixaient, comme s'ils cherchaient à la déchiqueter rien qu'en la regardant. Et sous ce regard, elle était nue dans une plaine sans relief, ne pouvant se soustraire à leur regard. Et les yeux changeaient, et devenaient ceux de l'Oracle, qui apparaissait devant elle. Puis elle s'approchait, et effleurait la joue de Miryäna avec douceur avant de lui planter ses ongles dans la peau en disant :

- Crois-tu que les Deux t'ont oubliée ?

Le sang se mettait alors à goutter à terre, et l'Oracle partait d'un grand rire à faire froid dans le dos, laissant à nouveau place aux Deux et à leur regard implacable.
Elle s'était réveillée en panique, et avait couru se réfugier auprès de Laurence. Pour la rendormir, voyant qu'elle était une vraie boule de nerfs, il lui avait fredonné cette chanson. Elle s'était enfin endormie, la main encore accrochée à sa tunique.

Elle monta d'une tierce pour fredonner une mélodie qui s'accordait parfaitement à la chanson de base. La jeune femme songea également que depuis que Laurence était parti pour son premier voyage, elle n'avait plus jamais osé le déranger lors de ses cauchemars. Elle rencontra à nouveau le regard de Laurentius, et détourna vite son visage pour masquer son trouble soudain.

Elle n'avait pu manquer de constater l'apparition de cette variante de l'affection qu'il éprouvait en ce moment même. Il lui semblait également qu'elle ressentait quelque chose de similaire, mais elle ne pouvait pas vraiment le définir. L'affection avait toujours été là, mais il y avait ce petit quelque chose de plus qu'elle avait pu ressentir chez les adultes, en général. Elle avait surpris cette petite lueur dans les regards que les couples se lançaient, et avait ressenti le pendant de cette petite lueur. Cette émotion qu'elle ressentait à présent ressemblait à cela.

Se rendant compte qu'elle avait arrêté de teindre la mèche qu'elle tenait, et que la chanson s'était terminée, elle dit doucement à Laurence :

- C'est la dernière mèche. Que devrons-nous faire ensuite ?

La question n'était pas uniquement posée par curiosité, mais également pour le tenir éveillé. Elle espéra un instant que la tâche ne s'arrête pas là. Elle appréciait vraiment cette nouvelle complicité, et avait envie de la prolonger le plus possible. Oui, quelque chose comme ça. Elle finit de teindre la mèche qu'elle tenait, et la replaça avec les autres. Elle laissa ses doigts errer au niveau de la nuque du jeune homme, tout en se penchant à nouveau vers lui pour obtenir une réponse.

Lorsqu'elle se mit à fredonner une nouvelle mélodie, Laurence la regarda, les yeux dans le vague. Il se rappela d'où il tenait cette chanson. C'était un des seuls legs de sa défunte mère. Elle la lui chantait toujours les nuits d'orage pour l'aider à s'endormir. Il se rappela que c'était en une occasion similaire qu'il l'avait fredonné pour la première fois à la jeune femme qui occupait maintenant toutes ses pensées.

D'ailleurs, à bien y repenser, cela faisait longtemps que Miry n'avait pas accouru dans son lit prise de panique après un mauvais rêve. Peut-être n'en avait-elle plus? Ou peut-être ne désirait-elle plus le montrer à Laurence, pour que celui-ci arrête de la traiter en enfant? En tout cas, ce qui était sur, c'est qu'a ses yeux, elle ne l'était plus.

Lorsqu'elle termina sa mélodie, il rouvrit les yeux, la tête en arrière, juste assez rapidement pour voir Miry détourner le regard. Il continua tout de même de la regarder tendrement, lorsqu'elle lui demanda la marche à suivre pour la suite. Il lui répondit lentement, comme s'il ne voulait pas que cela arrive.

"Et bien, il faut attendre encore un peu pour que ta teinture soit sèche, puis on la rince, et on démêle ensuite tes cheveux, puis la même chose pour moi."

Il leur fallait donc attendre encore quelques minutes, avant de passer à la suite. Un frisson le parcourut, alors que la main de la jeune femme errait sur sa nuque, et il pencha un peu plus la tête en arrière, alors qu'elle même se penchait en avant. Ils étaient maintenant bien proche, et cette proximité le persuada de demander :

"Voudra-tu dormir avec moi ce soir?, dit-il, la regardant droit dans les yeux."

C'était lourd de sous-entendu, mais lui avait seulement envie de dormir dans ses bras, de ne pas être seul alors qu'il rentrait d'un long voyage, et si cela pouvait faire que cet instant de bonheur continu, alors cela valait le coup de demander.

"Voudras-tu dormir avec moi ce soir ?"

La jeune femme ne put retenir une expression de surprise. Si la voix était ferme comme elle l'avait toujours été, ce fut le flot d'émotions qui accompagna cette phrase qui la fit réfléchir sérieusement à la question. Combien de fois elle avait eu envie de courir dans la chambre de Laurence pour qu'il puisse la réconforter comme il le faisait lorsqu'elle était enfant ? Oh, elle l'avait toujours souhaité, lorsqu'elle se réveillait en sursaut.

Le regard de Laurentius ne la quittait pas une seconde. Elle se sentit rougir. Ce regard n'était pas celui que l'on pose sur une enfant.

Ces deux derniers mois avaient été difficiles. Avait-elle pressenti qu'elle entendrait de nouveau parler de l'Oracle ? Elle l'ignorait. Mais ses nuits et ses jours avaient étés mouvementés. Une journée en particulier lui revint à l'esprit.
Après avoir passé une nuit des plus affreuses, une crise était survenue à cause de la fatigue. Recroquevillée dans un coin de sa chambre, pleurant toutes les larmes de son corps, la jeune femme avait passé plusieurs dizaines de minutes à tenter d'échapper à des mains qui cherchaient à s'emparer d'elle. Épuisée, elle avait fini par s'endormir sur place ; ses rêves n'avaient pas été plus calmes pour autant.
Ce genre de schéma ne s'était pas contenté d'arriver une seule fois. Rien que l'avant veille, un phénomène similaire était survenu. Le stock de gui, qui permettait d'atténuer fortement sinon de soigner les crises, avait diminué de moitié.

Alors un doux sourire apparut sur ses lèvres. Une sorte de soulagement s'empara d'elle et vint calmer toutes ses inquiétudes vis-à-vis d'une telle demande. Elle voulait juste se sentir en sécurité et elle savait qu'elle y serait auprès de Laurence. Pour la première fois depuis deux mois, elle pourrait dormir en paix ; et elle pourrait réaliser une idée qui semblait lui trotter dans la tête depuis un moment.

- Je me sens en sécurité auprès de toi, murmura-t-elle. Mes peurs cesseront peut-être ainsi de me poursuivre jusque dans mon sommeil ...

Elle lui rendit son regard, et s'accroupit juste à côté de lui, ses mains posées sur ses cuisses, paumes tournées vers le haut. La tunique de lin épousait ses formes, et les échancrures sur les côtés révélaient des jambes fines, à la peau tout aussi laiteuse que celle de son visage. Les cheveux noirs vinrent faire écran au visage de la jeune femme avant qu'elle ne les replace derrière son oreille en tournant à nouveau son visage vers Laurence.

- J'accepte, dit-elle enfin, dans un souffle.

Laurentius la regarda, sans rien dire, alors qu'elle semblait perdue dans ses pensées un instant. Oui, cela nécessitait réflexion, car cela pourrait marqué un changement dans leur relation. Un maitre et son élève ne dorment pas dans le même lit, et elle était bien trop grande pour que ce soit une relation de père à fille. Quoi que cela pouvait être, ce n'était pas la relation qu'ils avaient eu jusque là.

Lorsqu'elle répondit, la réponse le choqua légèrement. Il savait qu'elle était quelques fois troublé, ou hanter par son passé dont il ignorait tout mais dont il se doutait qu'il avait été difficile. Ce qui le choqua, c'est que c'était la première fois qu'elle abordait aussi ouvertement le sujet, et que sa douleur semblait bien plus présente qu'il ne l'imaginait.

Il avait été présomptueux, alors qu'il aurait dut se rendre compte qu'elle était si mal que cela en elle. Oui, il aurait dut le voir, et faire en sorte que cela change voilà bien des années. Il s'en voulait, maintenant qu'il apprenait à quel point elle en souffrait. Il aurait dut faire quelque chose, il le devait.

Lorsqu'elle lui parla de nouveau, mettant sa tête au même niveau que le sien, il avait l'air sérieux et déterminé tout à coup. La fatigue se lisait évidemment sur ses traits, mais l'homme sérieux, presque dur, en lui, ressurgit un instant. Il lui passa une main douce mais ferme derrière la nuque de la jeune femme, et approcha son visage de celui de Miry. Il posa son front doucement contre le sien, et la fixant, il lui dit, d'une voix forte et rassurante :

"Je te protégerais toujours, alors tu n'as plus aucune raison d'avoir peur. Je ne te laisserais plus jamais seule, je te le promet."

C'était une promesse qui lui coutait énormément, car cela voulait dire l'emmener avec lui durant ses "voyages", mais cela lui couterait encore bien davantage de la laisser seule, maintenant qu'il savait qu'elle avait si peur lorsqu'elle était seule.

Il relâcha sa nuque, mais resta son front collé au sien pendant un instant, la fixant, d'un air sérieux mais aussi doux. Il était clair qu'il ne voulait que son bien-être.

La jeune femme observa la réaction de Laurentius lorsqu'elle lui répondit. Elle ne s'attendait cependant pas à le sentir choqué, puis à percevoir un sentiment de culpabilité, de remord. Se sentait-il coupable qu'elle ait des mauvais rêves ? Ce n'était pourtant pas sa faute ...

Un frisson lui parcourut le dos lorsqu'elle sentit les doigts du jeune homme se refermer sr sa nuque ; elle faillit perdre l'équilibre lorsqu'il l'attira doucement à lui. Se remettant d'aplomb en déplaçant légèrement ses pieds, elle ferma les yeux lorsque leurs fronts se touchèrent. La fatigue devait être forte : son front était un peu trop chaud. Elle rouvrit doucement les yeux et se laissa plonger dans ceux de Laurentius.

Elle le vit réfléchir intensément pendant quelques secondes, puis son visage se durcit légèrement. Le voyageur était revenu, éclipsant un instant le jeune homme qu'elle avait toujours connu. Miryäna frissonna en le voyant devenir si sérieux. Et soudain, elle senti que sa décision était prise. D'une voix ferme, il annonça cette décision.

La jeune femme sentit les larmes lui monter aux yeux. Elle connaissait parfaitement la valeur de la promesse que Laurence venait de lui faire. Ne jamais la laisser seule signifiait qu'il l'emmènerait avec lui durant ses voyages ; ainsi, il pourrait respecter la première partie de sa promesse. La jeune femme était tellement émue qu'une vague de gratitude échappa à son contrôle.

- Merci, fit-elle dans un souffle avec un doux sourire. Merci ...

Le soulagement remplaça la gratitude, semblant entourer la jeune femme comme un cocon, et fut lui-même remplacé par une sorte de sérénité légère comme une plume. Elle battit des paupières pour supprimer les larmes qui perlaient au coin de ses yeux, et reprit soudainement le contrôle sur elle-même lorsque les doigts de Laurence s'enlevèrent de sa nuque.

- Je sais ce que te coûte cette promesse. Je ferai tout pour que tu ne le regrettes pas ... continua-t-elle en murmurant doucement.

Elle ne s'était aperçue de rien, et dans ses yeux brillait à présent une reconnaissance sans faille, accompagnée de toute la tendresse qu'elle éprouvait pour lui. Cet homme était bon, elle l'avait su dès leur première rencontre. Elle se sentait capable de faire n'importe quoi pour lui.

Laurentius la regarda pendant un instant, puis releva la tête, regardant le plafond. Le temps du secret était révolu, et elle avait de toute manière droit de savoir dans quoi elle s'embarquait. Il soupira, puis, à voix basse, comme par pur réflexe, il s'apprêta à dire ce qu'il n'avait encore jamais dit à quiconque.

"Hélas, non, tu ne le sais pas... Tu dois bien comprendre que tu sera bien plus exposée au danger avec moi. Vois-tu, je ne suis pas seulement un chasseur de relique, je suis aussi quelqu'un connu sous le nom du Voyageur."

Il soupira de nouveau, et la regarda en tournant la tête. Il savait déjà qu'une partie de lui-même allait regretté ce qu'il avait dit, et qu'elle ne le verrait peut-être plus jamais du même œil après, mais il le fallait. De toute manière, maintenant, c'était trop tard. En plus, si il se taisait maintenant, il était possible qu'elle cherche à découvrir qui il était réellement par elle même, et cela serait encore plus dangereux pour elle que d'être au courant. Il reprit donc, la fixant dans les yeux.

"Le Voyageur est un des nombreux agents de l'Archevêque Aloysus. Tu crains ceux de l'Oracle, mais je suis leur égal, bien que dans le camp d'en face. Lorsque je partais en voyage, c'était des missions, des assassinats. Si je suis si doué en alchimie et en herboristerie, c'est pour ça. Mon arme de prédilection est le poison. Une mort douce et rapide, ou douloureuse et lente."

Il hocha la tête de nouveau, et ne put s'empêcher de continuer.

"Je suis l'une de ses ombres qui agissent dans le plus grand secret, et qui ne laisse derrière eux que du vent et un cadavre. Évidemment, cela a des avantages, comme la maison par exemple... A chaque fois que je rentrais après absences prolongées, j'avais du sang sur les mains, mais c'est ainsi, pour Aloysus, je ne suis qu'une arme, rien de plus."

Il la regarda de nouveau, puis eut un maigre sourire.

"Ne me juge pas trop vite... Prend le temps d'y réfléchir. Mais en tout cas maintenant, tu peux être entièrement rassurée n'est-ce pas? Aucun agent de l'Oracle n'oserait m'attaquer, comme je ne peux pas m'attaquer à eux. C'est un maigre équilibre, mais chaque camp essaye de le conserver. Et quand bien même, je suis sur mon territoire, ils n'ont aucune chance de me vaincre ici. Je suis leur égal, même si je sers la Lumière. Alors tu vois, tu es plus en sécurité auprès de moi que n'importe où ailleurs."

Il se retint de se pencher vers elle, mais rajouta :

"Auprès de moi, jamais personne ne te fera de mal... Personne... Jamais."

Il eut envie de crier qu'elle pouvait lui faire confiance, mais c'était un lourd secret qu'il venait de dévoiler, et il ne savait comment elle le prendrait. Après tout, verrait-elle en lui le protecteur de la Lumière, ou simplement un assassin?...